L’Allemagne, sympathique fourmi, a commencé à semer ses graines chez sa voisine Cigale, la France. Elle en réclamera un jour légitimement une partie des fruits…
Par Acrithène.
Chacun à l’image de l’Allemagne austère et prévoyante et de la France dispendieuse et rêveuse, et cette perspective est souvent adoptée par les politiciens de droite, et même parfois de gauche. Cette interprétation des différences d’une rive à l’autre du Rhin résiste-t-elle à l’analyse des chiffres ? Hélas, un regard sur les comptes nationaux des deux pays corrobore parfaitement le cliché.
Depuis la Renaissance italienne, les comptables ont pris l’habitude, pour chaque acte économique, d’ajouter à leurs livres deux écritures, tradition qu’on appelle la « partie double ». Une des écritures décrit l’origine d’une ressource, la seconde son affectation. Les deux doivent être égales, ce qui respecte une nécessité physique.
Pour reprendre les exemples agricoles que j’affectionne, les grains issus d’une culture peuvent-être avalés ou replantés. Le comptable écrira deux lignes égales :
Grains récoltés = Grains consommés + Grains replantés
Au regard de cette égalité, nous pouvons analyser les deux premiers graphiques que je vous propose (agrandissez l’image). Chaque graphique reflète la différence entre les parts de la « récolte » qu’attribue la France à la consommation (graph 1) et à l’investissement (graph 2), en comparaison de l’Allemagne. On voit que des années 1980 à 2001, les Français consommaient une plus grande part de leur production, et en ressemaient une moindre proportion. Ce qui colle assez bien à la fable de La Fontaine La Cigale et La Fourmi.
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Cependant, à la fin de la fable, la fourmi envoie promener, ou plus exactement « danser », la cigale. Ici, l’issue de l’histoire est assez différente. Dans la partie bleue du graphique, la France se met à investir davantage que sa voisine de l’Est. Est-ce là le signe qu’elle consomme moins et épargne davantage, manifestant une attitude plus prudente et long-termiste qu’elle n’en avait l’habitude ? Au regard du premier graphique, cela ne semble pas le cas, et la cigale semble plus dispendieuse que jamais en comparaison de sa voisine.
Pour comprendre comment la France semble à la fois plus dispendieuse et plus investisseuse – ce qui paraît paradoxal – il faut comprendre qu’un fermier a la possibilité de recevoir des grains récoltés dans un autre champ, comme il a l’opportunité d’en donner à son voisin. Ce qui nous donne :
Grains récoltés + Grains reçus = Grains consommés + Grains replantés + Grains donnés
Dans la comptabilité nationale, cet équilibre entre les ressources et les emplois prend la forme suivante :
PIB + Importations = Consommation + Investissement + Exportations
qui équivaut à
(PIB – Consommation) – Investissement = Exportations – Importations
ou encore
Épargne – Investissement = Excédent Commercial
ou encore
Investissement – Épargne = Déficit Commercial
En bref, si vous souhaitez soudainement investir davantage sans accepter de réduire votre train de vie, il vous suffit d’accroître vos dettes vis-à-vis de l’extérieur, c’est-à-dire de demander davantage de grains à vos voisins que vous ne leur en donnez. Évidemment, vous devrez rembourser ses emprunts, augmentés des intérêts. Si les graines que vous plantez vous sont prêtées par un autre fermier, vous devrez généralement en partager les fruits futurs avec lui.
Le dernier graphique représente les différences de déficit (ou excédent) commercial entre la France et l’Allemagne. Longtemps comparables, la France a soudainement développé un déficit très supérieur à celui de l’Allemagne (qui est en fait négatif, l’Allemagne ayant en fait symétriquement développé un excédent). Si je poursuis ma métaphore agricole, cela signifie que l’Allemagne, un peu plus sympathique que la fourmi, a commencé à semer ses graines en France. Elle en réclamera un jour légitimement une partie des fruits…
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