La bataille de l’UMP fait rage. Copé versus Fillon. Habituée aux rivalités de
personnes, la droite retrouve sa tradition querelleuse. Pourtant, il ne s’agit pas d’un clivage idéologique. Il s’agit surtout de configurer le paysage politique français pour les cinq voire les
dix prochaines années. Première partie.
Chirac aux commandes pendant 30 ans !
En effet, le leadership de Jacques Chirac sur le grand parti gouvernemental positionné à droite et au centre droit, que ce soit l’UDR,
le RPR ou l’UMP, fut quasiment incontesté de décembre 1974 à mai 2005 (soit plus de trente ans !). Bien sûr, il y a eu quand même des contestations, des guerres intestines, des grosses
rivalités parfois fatales contre Valéry Giscard d’Estaing (il en eut fini en mai 1981) et contre Édouard Balladur (1993-1995), aussi quelques petites querelles contre Philippe Séguin, Charles
Pasqua et plus récemment, Nicolas Sarkozy (de 1998 à 2005), mais globalement, il a réussi à surnager d’un siècle à l’autre sans perdre ni sa légitimité politique ni sa stature et en dominant
parfois avec arrogance majorité ou opposition selon les cas.
Plus dur fut de lui trouver un successeur et les rivalités minaient déjà le RPR, entre Alain Juppé et
Philippe Séguin (cause de la défaite du 1er juin 1997), puis entre Nicolas Sarkozy et Dominique de
Villepin (de mai 2002 à mai 2012). Finalement, c’est sans l’onction ni l’autorisation du leader ni de son dauphin présumé que Nicolas Sarkozy s’est emparé de l’UMP le 28 novembre 2004. Sa
conquête n’avait rien d’imprévisible et dès mai 2002 voire dès 1999 (l’élection de Michèle Alliot-Marie à la
présidence du RPR), cette succession était imaginable.
L’héritage de Sarkozy
Bien qu’élu Président de la République, Nicolas Sarkozy resta tacitement président de l’UMP (ce qui a choqué
dans l'esprit de nos institutions) au contraire de Jacques Chirac qui laissa à son Premier Ministre Alain Juppé le soin de présider le RPR en 1995. Plus précisément, la fonction de président de
l’UMP fut mise entre parenthèses pour le temps du quinquennat. Le "patron" opérationnel en devenait le secrétaire général, poste laissé d’abord à Patrick Devedjian le 22 mai 2007, puis, à Xavier
Bertrand le 8 décembre 2008, puis, enfin, à Jean-François Copé le 17 novembre 2010.
Ce dernier avait bien compris que la légitimité au sein de l’UMP passait par ce poste stratégique : au
contact avec tous les militants, les fédérations départementales, les investitures aux élections locales, après avoir présidé le groupe UMP à l’Assemblée Nationale et avoir tissé pendant trois
ans et demi des fidélités amicales chez les parlementaires. Pendant quelques années, la rivalité a porté sur ces seconds couteaux, entre Xavier Bertrand et Jean-François Copé. Xavier Bertrand a
finalement renoncé le 16 septembre 2012 à la bataille de l’UMP, se justifiant par la volonté d’être candidat à la candidature présidentielle en 2016.
Héritier récalcitrant, c’est un peu le rôle qu’avait adopté Jean-François Copé pendant ce dernier quinquennat
vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, le même que ce dernier vis-à-vis de Jacques Chirac pendant le quinquennat précédent. Indépendance, ambition, mais malgré tout, loyauté apparente. Équilibre fragile.
Après tout, Jacques Chirac avait agi pareillement vis-à-vis de Valéry Giscard d’Estaing entre 1976 et 1981.
L’échec de Nicolas
Sarkozy à l’élection présidentielle du 6 mai 2012 remettait logiquement à plat toute l’organisation interne de l’UMP. Cela fait huit ans que l’UMP avait le même leader, une UMP initialement
fondée pour accompagner Alain Juppé jusqu’à l’Élysée…
Différences entre 2002 au PS et 2012 à l’UMP
Les nombreuses ambitions qui pouvaient s’exprimer bien avant 2012 au sein de l’UMP auraient pu aboutir à une
sorte de statu quo, comme au PS en 2002 après l’échec brutal de Lionel Jospin. À ceci près qu’il n’y avait
pas de François Hollande de service. Au PS, la règle était à celui qui n’exprimerait pas le premier son ambition présidentielle, considérant que le premier serait "mort", ce qui est une erreur
dans la conquête du pouvoir puisque en général, c’est le premier et celui qui crie le plus fort qui obtient gain de cause (Nicolas Sarkozy a martelé sa candidature de 2007 dès 2002 et
Jean-François Copé l’a imité très rapidement, dès 2007, pour parler de 2017, pour que cela devienne une "évidence" et que ce soit "naturel"). Au PS, tous les éléphants classiques (et Dominique Strauss-Kahn avait un boulevard à l’époque) se sont fait prendre de vitesse par une candidate imprévue (et imprévisible), Ségolène Royal.
Autre différence entre l’UMP et le PS, c’est qu’au PS, depuis sa création le 11 juillet 1969, il y a des
"courants" qui sont à la fois des ailes idéologiques mais aussi des écuries présidentielles. À ceux-ci, il faudrait d’ailleurs ajouter les candidatures à la primaire de 2011. À l’UMP, les choses sont un peu différentes. Initialement, lorsque ce mouvement rassemblant le
RPR et une partie de l’UDF fut créé en 2002, il était aussi question de faire des "courants" mais la tradition monolithique des gaullistes l’a emporté d’autant plus facilement que celui qui était
initialement contre le principe de l’UMP l’a conquise deux ans plus tard.
Maintenant, en 2012, la situation change : Jean-François Copé, au contraire, a mis en place des "mouvements" ("courants" en langage UMP) pour bénéficier du
soutien actif de Jean-Pierre Raffarin. Inversement, François Fillon est peu partisan de ces "mouvements" car pour lui, ce ne sont pas des vecteurs de diversité mais
des futures causes de division, et l’exemple du PS est là pour le prouver. Mais Jean-François Copé a réussi pour l’instant à déconnecter les "mouvements" des écuries présidentielles puisque la
motion, par exemple, soutenu par Jean-Pierre Raffarin est soutenue à la fois par des copéistes et des fillonistes.
Le couperet des 8 000 parrainages
Le 18 septembre 2012, la première étape a été franchie : il s’agissait de recueillir 7 924
parrainages d’adhérents à jour de cotisation au 30 juin 2012 pour pouvoir se présenter à l’élection prévue deux mois plus tard. Ce sont les "petits" candidats qui auraient subi les conséquences
de cette très forte contrainte : Nathalie Koscisko-Morizet, Bruno Le Maire, Henri
Guaino, Christian Estrosi, Dominique Dord et Xavier Bertrand ont dû renoncer faute de parrainages suffisants ou faute de soutien dans les sondages (la plupart de ces ex-candidats ont
d’ailleurs revendiqué avoir recueilli assez de parrainages ou presque assez). En effet, rien n’est vraiment sûr dans leurs affirmations et peut-être leur faible audience leur permettait de
quitter cette compétition sur la pointe des pieds avec le moins de déshonneur possible.
Donc, comme prévu, il n’y aura que deux candidats pour la présidence de l’UMP : l’ancien Premier
Ministre François Fillon et le secrétaire général sortant Jean-François Copé. Comme ce fut envisagé depuis la fin 2010, mais finalement, on aurait pu le prévoir dès la fin 2007. Les deux
personnalités sont des "animaux politiques" (comme on dit), des personnes qui se sont engagées très jeunes et qui ont pris très rapidement des responsabilités.
Petite suspicion émise par Jean-Claude Gaudin lui-même, très bon connaisseur des affaires politiques et qui
s’est étonné de la forte proportion de parrainages de part et d’autres. En comptabilisant tous les parrainages, y compris ceux des petites candidatures avortées, on peut facilement arriver à
…près de cent dix mille parrainages pour un parti qui doit compter dans les cent quatre-vingt mille adhérents, ce qui reviendrait à dire qu’il y aurait eu dans les 60% de mobilisation pour non
pas voter mais parrainer, ce qui est un acte fort d’engagement. La participation du 18 novembre 2012 sera donc un indicateur intéressant de la véracité de ces parrainages, car s’il s’avérait
qu’il y ait plus de parrainages émis que de votes exprimés, cela poserait un gros problème sur la sincérité de cette compétition (tout comme l’élection de Martine Aubry comme première secrétaire du PS le 25 novembre
2008).
Préfiguration du paysage de 2017
Contrairement à ce que soutient surtout Jean-François Copé, et c’est pourquoi ce choix est historique,
l’élection interne du 18 novembre 2012 ne désigne pas le gestionnaire d’un parti politique d’opposition pendant trois ans : elle désigne celui qui sera le chef de l’opposition à François
Hollande, et, par ricochet, celui qui sera le mieux placé, le plus "naturel", pour se présenter à l’élection présidentielle de 2017.
Contrairement aussi à ce que certains aimeraient affirmer, la bataille Fillon-Copé n’est pas une bataille
idéologique, pas plus que ne l’était la bataille Chirac-Balladur. Car il n’y a rien, sur le fond, qui sépare les deux hommes, pas même sur la sécurité ou sur les positions vis-à-vis du Front national, puisque François Fillon a choisi pour directeur de campagne Éric Ciotti, le
député de Nice membre de la Droite populaire.
D’ailleurs, les soutiens aux deux candidats sont très peu clivants idéologiquement puisque qu’il y a de tout
chez les deux. L’ultra-sarkozysme se retrouve à la fois chez François Fillon avec Claude
Guéant, Christian Estrosi, Charles Pasqua, et chez Jean-François Copé avec Brice Hortefeux, Henri Guaino. Le chiraquisme et les positions modérées plus proches du centre sont
également répartis, chez François Fillon avec François Baroin, Valérie Pécresse, Jean Léonetti, et chez
Jean-François Copé avec Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Gaudin, Dominique de Villepin. Une petite parenthèse à propos de Dominique de Villepin : il a connu Jean-François Copé au budget et
porte-parole du gouvernement tandis qu’un différent s’est établi entre lui et François Fillon lors de sa nomination à Matignon le 31 mai 2005 (François Fillon a été exclu du gouvernement et s’est
"jeté dans les bras" de Nicolas Sarkozy).
L’autre enjeu du congrès du 18 novembre 2012
Au-delà de la présidence de l’UMP, un autre enjeu très important est la répartition des votes sur les
différentes motions soutenant les "mouvements". Il est fort probable que cette première existence de ces courants détermine également la direction de l’UMP pour les années à venir.
Six "motions" (terme exact : "déclarations de principe") ont ainsi été validées (parrainées par au moins
dix parlementaires) pour ce congrès :
"France moderne et humaniste" qui regroupe essentiellement des anciens UDF, sous la houlette de Jean-Pierre Raffarin, Luc Chatel et Jean Léonetti (on y retrouve
Christophe Béchu, Claude Goasguen, Olivier Dassault, Dominique Bussereau, Marc Laffineur, Marc-Philippe Daubresse, Alain Lamassoure, Hervé Mariton, Hubert Falco, Franck Riester, Philippe Nachbar,
Arnaud Robinet etc.) et qui a pour ambition d’arriver en tête des motions.
"La Boîte à idée, la motion anti-divisions"
qui est déposée par Bruno Le Maire avec notamment Hervé Gaymard, Benoist Apparu, Gilles Carrez, Édouard Philippe et
Thierry Solère.
"La Droite forte – Génération France forte
2017" qui est issue des jeunes de l’UMP, Geoffroy Didier et Guillaume Peltier avec entre autres Édouard
Courtial, Philippe Briand, Alain Moyne-Bressand, Brice Hortefeux et Alain Marleix.
"La Droite populaire" qui est chapeautée par Thierry Mariani et soutenue notamment par Lionnel Luca, Philippe Marini, Alain Marsaud et Patrick
Labaune.
"La Droite sociale" de Laurent Wauquiez (épaulé aussi par Valérie Boyer, Bernard Debré, François Grosdidier, Pierre Hérisson, David Douillet, François
Vannson…).
"La Gaullisme, une voie d’avenir pour la
France" déposée par Michèle Alliot-Marie, Patrick Ollier, Henri Guaino, Roger Karoutchi et soutenue notamment par Gérard Larcher, Bernard Accoyer, Serge Dassault, Serge Grouard, Claude Greff, Philippe Leroy, Jacques Legendre,
Catherine Vautrin).
Dans l’article
suivant, je ferai le point sur les deux candidatures (Copé et Fillon) qui seront en débat télévisé sur France 2 ce jeudi 25 octobre 2012.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (24 octobre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Fillon.
Jean-François Copé.
Nicolas Sarkozy.
Jacques Chirac.
Un sérieux rival pour l’UMP ?
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-congres-2012-de-l-ump-la-124747