Terrorisme et grand banditisme semblent se liguer pourmaintenir une chape de terreur sur la Kabylie, alors que les services de sécurité se révèlent inefficaces devant l’ampleur du phénomène des kidnappings. Les éléments d’un groupe ayant sévi deux années durant, auteurs de trois rapts et d’un assassinat, ont été jugés hier au tribunal de Tizi Ouzou. Dix d’entre eux risquent la peine capitale.
Le procès qui s’est tenu, avant-hier et hier au tribunal criminel de Tizi Ouzou, n’a pas tellement levé le voile sur la nature de ces groupes qui pratiquent le business du rapt en Kabylie. Il
donne néanmoins un aperçu sur la complexité du phénomène et sa gravité. Des groupes qui n’ont pas grand-chose à voir avec le terrorisme, dont les éléments ne sont pas forcément des criminels
notoires, s’enhardissent jusqu’à perpétrer des rapts en série.
Les malfaiteurs accumulent de l’argent pour «s’équiper» conséquemment en allant acheter des armes dans des contrées aussi éloignées que Tamanrasset, et quand la victime résiste trop, ils la
«descendent», comme ce fut le cas pour Hend Slimana. Il se confirme ainsi que le grand banditisme a trouvé un terreau en Kabylie et frôle dangereusement le seuil du crime organisé. Que les
frontières avec le terrorisme sont tellement ténues qu’elles finissent par se confondre. L’alliance objective, entre groupes terroristes et réseaux de kidnappings, a ceci de particulièrement
dangereux, par ailleurs, elle permet aux deux calamités de se maintenir solidairement, via les fonds faramineux récoltés et le lot d’armements que les «butins» récoltés permettent d’introduire
dans la région.
La présence terroriste, qui se maintient curieusement dans la région depuis bientôt vingt ans, offre au phénomène à la fois l’alibi et l’atmosphère idéale pour croître, d’autant que les services de sécurité restent inefficaces sur le terrain, malgré les assurances renouvelées des pouvoirs publics. Le plaidoyer de Me Aït Larbi hier, au procès, a ainsi épinglé l’amateurisme des services de sécurité qui n’ont pu pister les agissements d’un individu connu pour ses antécédents criminels et se retrouvant à la tête d’un groupe qui, en l’occurrence, ont semé la terreur pendant deux ans.
Des affaires non élucidées
Sur les plus de 70 affaires d’enlèvement qu’a connues la région depuis 2005, la plupart restent à ce jour non élucidées. Le procès des auteurs du rapt et de l’assassinant de l’entrepreneur
Slimana n’est que le troisième à avoir pu juger un groupe s’étant spécialisé dans les kidnappings. Trop peu pour un phénomène devenu endémique, ayant vidé la région de ses investisseurs et
ayant livré les citoyens au danger de se retrouver monnaie d’échange entre les mains des malfrats ou des terroristes. Trop peu pour une problématique qui alimente cette lecture politique, pour
le moins dangereuse pour la cohésion du pays, et qui n’hésite pas à conclure que la région est sciemment livrée à son sort pour lui faire payer ses accès cycliques de fronde contre le pouvoir.
Les services de sécurité restent globalement sur une défensive opérationnelle que tempèrent à peine quelques coups de filet sporadiques. Comment expliquer sinon que des enlèvements soient perpétrés dans des périmètres connus pour leur densité de population (l’une des plus importantes dans le pays), et que le palmarès des arrestations et autre démantèlement de groupe restent à ce point maigre. Dans les faits, la courbe du phénomène n’a cessé de progresser, en effet, tout au long de ces dernières années, et il ne se passe pratiquement plus une semaine sans qu’un rapt soit commis.
S’il est vrai que la Kabylie est une région escarpée, où il est difficile de traquer les criminels, comme avait tenté de l’expliquer le patron de la police, lors d’une rencontre avec les élus à Tizi Ouzou, il y a environ une année, les villageois de Kabylie et leur petite élite économique ne devraient tout de même pas payer les circonstances aggravantes de leur géographie. Depuis le temps, les citoyens, qui, à chaque enlèvement, assument de se mobiliser pour libérer l’un des leurs, attendent des opérations à l’envergure du drame qui les guette à chacun de ces virages décidément infestés de terroristes et de criminels sans foi ni loi.
ElWatan, 24 octobre 2012