Je me souviens avec Jeff(Bonnenfant) des kilomètres de route à travers la Sarthe. Qu’on aurait tort de réduire au fief de François Fillon ou Stéphane Le Fol. C’était dans les années 90 et si beaucoup de choses nous séparaient, nous vibrions et vibrons toujours pour un même amour de la région. Le temps a coulé, nos chemins se sont éloignés et j’ai retrouvé Jeff de loin début 2002 au détour d’une interview sur le net avec un chanteur dont il se faisait l’attaché de presse : Jann Halexander.
Je dois être franc : je suis le premier à évoquer les questions de racisme, d’homophobie etc sur mon blog, mes blogs pour être plus précis. Mais il faut faire attention à ne pas rester enfermé dans ces thématiques combien seraient-elles justes et passionnantes. C’est pourquoi si je trouve de façon globale l’œuvre d’Halexander intéressante, j’avoue largement préférer ses chansons, ses tours de chants, son écriture… à ses films.
Il a été (rendons à César etc…) l’un des précurseurs en France dans la réalisation de films à bas coût pour le marché DVD. Ses films ont profité de la période dorée et révolue de l’enthousiasme pour le support DVD. Il fallait être sourd et aveugle pour passer, dans la communauté LGBT (lesbienne gay bi trans) à côté de Statross le Magnifique, J’Aimerais J’Aimerais ou encore Occident. Ce sont des milliers d’exemplaires vendus et autant de piratés, de téléchargés en ligne illégalement qui ont très probablement permis à l’artiste d’agrandir son public et de ne pas rester cloisonné dans le milieu chanson. Le magazine Chorus ne s’était pas trompé en le considérant comme le Jean Guidoni métis des années 2000. Les histoires filmées étaient plutôt courtes et totalement étranges, barrées : fantômes, métis complexés, nazi homo, député ambivalent, des protagonistes en général de couleur et/ou appartenant à une minorité. Le tout dans des cadres particuliers : manoir, appartements de ville sans âme en province, forêts, aires de parking. Avec beaucoup de chansons et de musiques. Budgets dérisoires, Halexander avait assimilé le principe de feu Jean Rollin, fameux cinéaste français du fantastique, adulé partout sauf en France : filmez, filmez n’importe quoi mais filmez. Avec Rémi Lange et, plus tard, Djin Carrénard (et son fameux Donoma….) il proposait un cinéma autre, affranchi de tant de contraintes, incroyablement libre, à faire passer MK2 et Arte pour des suppôts de l’art cinématographique mainstream le plus abject !
Mais je n’ai pas accroché. Sans renier le talent qu’il y a derrière, JE suis passé à côté. Je me suis davantage exprimé sur le film Une dernière nuit au Mans, comédie simple, accessible en ligne sur youtube, de 60 minutes, solaire, touchante, drôle et véritable œuvre d’amour au Mans. Le fait de savoir que le film avait été réalisé par Jann Halexander ET Jeff Bonnenfant a sans aucun doute apporté une autre dimension, stoppé un sentiment de déjà-vu. J’avais cru comprendre de plus que J.H tournait la page du ‘cinéma’ et se consacrerait essentiellement à la chanson, aux concerts, au théâtre. Véritable challenge, sachant que le duo Bonnenfant/ Halexander construit quelque chose en vase clos, en autarcie à l’instar de Pierre Philippe/Jean Guidoni (on y revient hélas à la comparaison, ou tant mieux). Quelque chose de surprenant, de touffus et lointain qui offre peu de prise et qui manifestement a exigé – et exige encore- beaucoup de sacrifices : l’artiste, surnommé par certains le vampire, faillit être hospitalisé pour surtension, les huissiers se précipitaient à la porte, des amitiés se brisèrent. Sauf celle liant Jeff Bonnenfant àJann Halexander.
Pourtant IL est toujours là. IL, c’est le public. J’avais écris qu’un artiste sans son public n’est rien. Evidemment on ne peut pas non plus mettre de côté la volonté d’un artiste de continuer. Et ainsi sort La Bête Immonde. Suite à des projections publiques, Jann Halexander a expliqué qu’il s’agissait là de son dernier film. On serait tenté de le croire. La Bête Immonde c’est le chant du cygne flamboyant.
L’histoire est très simple : Ariane, une jeune femme métisse issue de la petite bourgeoisie de Maggelburg, en Europe du nord, enquête sur la mort mystérieuse de son frère aîné dont on a découvert le cadavre à l’entrée de la sinistre Forêt des Charniers. Vous l’aurez deviné, ce n’est pas une simple enquête. Mais quelque chose de perturbant. Parce que filmé de façon très réaliste, trop réaliste, cadré avec sévérité. Pas d’effets spéciaux. Tourné à la lumière naturelle. Maggelburg pourrait exister, j’ai cru moi-même que cette ville, ses habitants existaient. C’est une ville épouvantablement normale. Cousine européenne de Twin Peaks. Voilà un film d’ailleurs que n’aurait pas renié David Lynch. Certains y vivent parce qu’ils ne peuvent pas vivre ailleurs quand d’autres défendent farouchement leur cité, sa beauté, des fleurs. Ariane et sa mère y vivent parce qu’elles n’ont aucune raison de vivre ailleurs. Enfin c’est ce qu’on pourrait penser. On se demande qu’est-ce qui fait peur : la ville ou la Forêt des Charniers ?
Les chansons, les films de Jann Halexander sont hantés par la forêt, ici c’est une obsession, c’est la justification même du film. Et si c’était la forêt dans son ensemble qui symbolisait la Bête Immonde ? On se doute que le titre est un clin d’œil à la chanson longue et simpliste du même titre de Michel Fugain. Mais ici tout est tellement plus bizarre, plus ambivalent.Tiens, autre question : et si c’était la mère la Bête Immonde ? Nous voilà assis, scotchés en fait devant un surprenant film d’atmosphère où il n’y a pas de portes qui claquent, de sang qui gicle mais une tension permanente, une inquiétude permanente, l’idée que quelque chose de grave va se passer. Evidemment les choses ne se passent pas comme le spectateur le prévoit, le dénouement est ingénieux et la dernière minute laisse un goût amer en travers de la gorge. Un collègue me disait que le film La Bête Immonde n’était ni plus ni moins qu’un Projet Blair Witch de luxe. On pense, il faut être honnête à Projet Blair Witch, mais aussi à Blanche-Neige, à Twin Peaks, Sleepy Hollow, Les sœurs Vampires, Requiem pour un Vampire. Ce n’est pas un grand film. Mais un petit grand film avec des airs de dark fantasy : il faut voir Ariane héroïne sublime dans un univers hostile, sa confrontation avec la bande de blancs racistes, mémorable. Ce n’est plus un simple film de Jann Halexander mais une œuvre qui fait sens à l’époque actuelle, qui marque et nous laisse songeur des semaines après l’avoir vue.
L.M
Sortie DVD : 15 octobre
Vente : Ebay, priceminister etc
Site français : http://www.labeteimmonde.blogspot.fr
Site anglais : http://www.kkkthecruelbeast.blogspot.fr