La Fabuleuse Histoire de la Cuisine Française ( suite )
Nous avons vu naître, au début du XVIII° siècle, les premières auberges où l’on donne à manger et comment le plus souvent les gens de la noblesse et de la grande bourgeoisie y font leur propre cuisine à l’instar du Régent.
Nombre d’auberges ont aussi des tables d’hôtes ; la chère y est frugale : œufs, jambon et volaille.
C’est en 1765 qu’un certain boulanger, dit Champ d’Oiseau, fonde rue des Poulies, le premier restaurant ; il tient à la disposition des chalands quelques mets cuisinés à consommer sur place. Il a fait peindre sur son auvent ce verset parodique en latin … de cuisine évidemment :
» Venile ad me, omnes qui stomacho laboratis et ego restaurabo vos »
Boulanger se costume volontiers en homme de qualité, ceignant l’épée et le grand cordon pour battre l’estrade devant son échoppe restauratrice : ces allures charlatanesques lui permettent de se mêler au beau monde et aux viveurs de l’époque, de les guider dans leurs plaisirs pour les ramener finalement à ses tables et les restaurer au mieux.
Quelques années plus tard, en 1770, un certain Lamy s’établit dans un recoin obscur du Palais-Royal ; sa maison est modeste, ses tables n’ont point de nappe et les convives point de serviettes, mais sa carte est variée, sa cuisine honnête : on y déjeune et on y dine vraiment. Il connait rapidement la grande vogue et mérite certainement d’être considéré comme le premier restaurant tel qu’on l’entend aujourd’hui.
Le nom de restaurant viendrait du nom des » bouillons restaurants » vendus par les traiteurs ou consommés sur place ; c’est-à-dire de bouillons agrémentés de viandes et de légumes et qui par conséquent restaurent ceux qui les dégustent.
La recette du » Bouillon Restaurant » est parvenue jusqu’à nous :
» Mettez 3 perdrix, 2 chapons, un membre de mouton, une rouelle de veau, le tout bien dégraissé, dans une bouteille ou flacon de verre ou de terre. Bouchez d’un linge et d’un morceau de pâte bien dure, mettez encore par dessus une peu de mouton. Faites bouillir douze heures au bain-marie, en renouvelant l’eau bouillante. Le restaurant est obtenu à l’intérieur du récipient bouché après ces douze heures. Pressez et passez dans un linge. «
Les traiteurs pour éviter de se ruiner, diminuent bientôt les quantités de viande et augmentent les quantités d’eau. Ils vantent leur marchandise sous le nom de restaurateurs et leurs établissements celui de » restaurants ou Maisons de santé « .
En 1786 une ordonnance leur permet de vendre toutes sortes de crèmes, potages au riz, au vermicelle, des œufs frais, des macaronis, des chapons au gros sel, des confitures, compotes et autres mets » salubres et délicats « . Mais non des ragoûts. Les traiteurs se sont plaints en effet et un procès est intenté au restaurateur Boulanger, qui a mis des pieds de mouton à la poulette à son menu.
Le restaurant de grande classe n’apparaît qu’en 1782 avec l’illustre Beauvilliers qui demeure durant plus de vingt ans sans rival auprès de la haute société parisienne.
Il est le premier à décorer ses salles, une cuisine exquise, une cave admirable. Il a le don de « faire la salle « à merveille, indiquant le plat de choix, le meilleur cru comme s’il vous les offrait.
» Hèlas ! dit Brillat Savarin, l’enflure de la note et l’amertume du quart d’heure de Rabelais montraient suffisamment qu’on avait diné chez un restaurateur. »
Beauvilliers, ancien officier de bouche de Monsieur, Comte de Provence, qu’il a suivi en exil, ex-attaché aux Extraordinaires des Maisons Royales, porte de droit le jabot et l’épée : aussi ses clients n’estiment-ils pas payer trop cher l’honneur d’être traité par un tel hôte !
Sa maison » La Grande Taverne de Londres « , est sise 26 rue de Richelieu. Il la confiera plus tard à un sieur Grignon fils qui n’aura point d’autre successeur. Beauvilliers meurt en 1820. Durant ses années de gloire, d’autres restaurateurs lui font une rude concurrence . Meot, Robert, Rose, Legacque, les frères Very, Balaine, Henneveu l’imitent, mais aucun ne connait sa vogue.
Chez Ramponneau, » il faut aller goûter le plaisir «
Méot ouvre en 1788, rue de Valois, un restaurant où se réuniront tous les personnages marquants de l’époque révolutionnaire.
Vers 1805, un modeste paysan lorrain, Véry, établit un restaurant sur la terrasse des Feuillants, aux Tuileries. Puis il ouvre, en 1808, près du Théatre du Palais-Royal, une succursale. La carte de Véry est prodigieuse : on y dénombre seize plats de boeuf, autant de moutons, trente-cinq entrées, volaille et gibier, seize de veau… de Pontoise, vingt entremets de légumes et d’oeufs, les poissons, les entremets de sucre, potages et hors-d’œuvre et la plus riche cave de Paris. Il ne s’agit point là de mets passe-partout, mais de haute cuisine. Grimot de la Reynière décrit la somptuosité de cette maison dont les tables sont de granit, les candélabres de bronze doré. Madame Véry, dont les grâces opulentes enthousiasment le crayon de Rowlandson au cours de l’occupation anglaise de 1814, trône à la caisse.
Vers 1820 Véry se retire, fortune faite, laissant son établissement du Palais-Royal, le seul conservé à ses neveux, les frères Meunier, qui élargissent encore la clientèle. Un vaudeville, » Un garçon de chez Véry » joué avec succès vers 1850, maintient la vogue du restaurant dirigé alors par un Allemand, Neukoss qui ne sait point la conserver. En 1867, Alfred Delvau déplore la chute du Véry, sombré, dit-il, depuis quelque temps dans le » pris fixe « .
Source : La Fabuleuse Histoire de la Cuisine Française par Henriette Parienté et Geneviève de Ternant.
( à suivre … )