Odilon Redon (Bordeaux, 1840-Paris, 1916),
Le chemin à Peyrelebade, sans date
Huile sur papier contrecollé sur carton, 46,8 x 45,4 cm, Paris, Musée d’Orsay
(cliché © RMN-GP-Musée d’Orsay/Hervé Lewandowski)
En dépit de l’impression de parenté qu’elles laissent lorsqu’on les écoute l’une à la suite de l’autre, la genèse de ces deux
partitions et les sentiments qu’elles véhiculent sont résolument différents, pour ne pas dire opposés. La naissance du Quintette avec piano en ré mineur op. 89 a été compliquée,
pleine d’atermoiements, de renoncements, de silences. Fauré commença très tôt à former ce projet, puisqu’on en retrouve des esquisses dès 1887, soit juste après l’achèvement de son Quatuor
avec piano en sol mineur op. 45, et que ses deux premiers mouvements étaient déjà largement ébauchés à la fin de l’année 1890. Mais l’œuvre se présentait plus difficilement
qu’escompté et le compositeur l’abandonna pour se consacrer à d’autres créations, comme les Cinq mélodies « de Venise » (op. 58, 1891) ou La Bonne Chanson (op. 61, 1892-94), avant de s’y replonger entre 1894 et 1896 puis de la laisser une nouvelle fois de côté pour un long
moment, y revenant entre 1903 et 1905 pour l’achever à la fin de cette année. Créé à Bruxelles le 23 mars 1906 puis à Paris le 30 avril, le Quintette op. 89 ne rencontra qu’un
succès d’estime, que l’on peut attribuer autant au manque de répétitions avant sa première exécution qu’à sa forme inhabituelle en trois mouvements, décidée par Fauré dans l’ultime phase
d’écriture de l’été 1905, et à son apparente uniformité de ton ; il lui faudra attendre les années 1960 pour commencer à se frayer un chemin au répertoire en France.
Si l’on peut parler, pour l’opus 89, d’une œuvre au destin contrarié, celui du Quintette avec piano en ut mineur
op. 115 se place, au contraire, sous le signe de l’aisance et de l’éclat, aisance d’un processus de composition prenant place entre septembre 1919 et février 1921 que Fauré qualifiera
lui-même de « sans fatigue », éclat de l’accueil triomphal qui lui fut réservé lors de sa création parisienne, à la Société Nationale de Musique, le 21 mai 1921. Voici une œuvre d’une
vitalité sereine, comme une bouffée de printemps en plein automne, dont l’Allegro moderato initial, porté par une force qui n’a nul besoin de fanfaronner pour montrer la puissance
vitale qui l’anime
La réunion d’Éric Le Sage et du Quatuor Ébène (photographie ci-dessous) promettait un disque de haute tenue ; c’est le
cas, et il s’en est fallu de peu pour qu’il tutoie l’excellence que représente, à mes yeux, la version de ces deux Quintettes par Domus (augmenté du violoniste Anthony Marwood,
Hyperion, 1995). Les vertus de cette nouvelle lecture sont nombreuses, tant du point de vue de la mise en place, impeccable, que de la cohérence d’ensemble, indiscutable, et de la beauté
sonore, délectable et restituée avec tout l’art, maintes fois salué sur ce blog, de Jean-Marc Laisné. Les musiciens ont visiblement pris le temps de mûrir ce projet si l’on en juge par le
dosage très subtil qu’ils opèrent sur les dynamiques et les nuances ainsi que par l’impression d’équilibre qui se dégage de leur interprétation dans laquelle chacun joue sa carte sans jamais
chercher à prendre le pas sur ses partenaires et sait faire preuve de la discipline individuelle et de l’écoute mutuelle nécessaires à l’instauration d’un authentique esprit chambriste
Je recommande donc à tout amateur de Fauré et, plus largement, de musique de chambre d’aller écouter ce beau disque qui lui fera passer un excellent moment et qui confirme l’intérêt de cette intégrale en cours chez Alpha, dont on va maintenant attendre avec confiance les deux derniers volumes. On espère que le Palazzetto Bru Zane, toujours prodigue en bonnes idées, aura à cœur de continuer à réaliser d’autres séries de ce type autour d’œuvres chambristes moins régulièrement servies par le disque comme, par exemple, celles de Camille Saint-Saëns qui mériteraient bien qu’on les remette plus régulièrement à l’honneur.
Quatuor Ébène
Éric Le Sage, piano
1 CD [durée totale : 66’15”] Alpha 602. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Quintette avec piano op. 89 : [II] Adagio
2. Quintette avec piano op. 115 : [II] Allegro vivo
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Fauré: 3 (Quintettes avec piano Op. 89 & 115) | Compositeurs Divers par Eric Le SageIllustrations complémentaires :
Paul François Arnold Cardon, dit Dornac (Paris, 1858-1941), Gabriel Fauré, devant son piano, dans son appartement boulevard Malesherbes, 1905. Photographie, 12 x 17 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France
Odilon Redon (Bordeaux, 1840-Paris, 1916), Barbizon en automne, sans date. Huile sur papier contrecollé sur carton, 33 x 24,4 cm, Paris, Musée d’Orsay (cliché © RMN-GP-Musée d’Orsay/Hervé Lewandowski)
La photographie du Quatuor Ébène est de Julien Mignot.