FONCEZ, la tête la première !
Ce nouveau pavé de 200 pages, troisième volet d’une série qui n’en prévoit plus que quatre, poursuit l’interrogatoire de Polza Mancini, toujours en garde à vue pour les méfaits qu’il a commis. Les policiers tentent de reconstruire le puzzle des événements et si la culpabilité du suspect ne fait aucun doute, les motivations de son acte barbare demeurent cependant inconnues.
A coup de flashbacks, le lecteur poursuit le compte-rendu de cet homme qui a abandonné son foyer pour se mettre en marge de la société, à la recherche du BLAST, cet état second qui lui permet de s’évader d’une réalité qui ne lui a jamais vraiment souri. Une descente aux enfers certes rythmée par la prise d’alcool, de médicaments et de drogues, mais également accompagnée d’une bouffée de liberté et d’une communion avec la nature et marquée par quelques rencontres surprenantes. Après sa rencontre avec Jacky Jourdain, un dealer SDF, lors du tome précédent, Polza Mancini poursuit son errance auto-destructrice. Une descente aux enfers qui passe par un séjour à l’hôpital psychiatrique et par sa rencontre avec Roland Oudinot et ses merveilleux Moaïs, mais qui le rapproche surtout de Carole… celle qu’on le soupçonne d’avoir tuée.
Manu Larcenet prend à nouveau tout son temps pour narrer l’histoire de son personnage, alternant des passages muets pourvus d’une grande force évocatrice et des passages plus verbeux où chaque mot semble néanmoins pesé. Une justesse narrative qui permet de toucher à la personnalité de cet homme et d’aller bien au-delà de sa grasse carcasse, créant énormément d’empathie envers cet homme au casier judiciaire presque aussi imposant que sa masse corporelle. Physiquement, l’homme obèse et répugnant n’a rien pour plaire, mais dans le fond, cet écrivain de profession a quelque chose de poétique et de touchant. C’est avec grand intérêt que le lecteur accompagne l’errance de cet individu en rupture avec la société et qui, depuis sa « tendre » enfance est mis à l’écart. Le but de ce long voyage introspectif est la recherche du prochain BLAST, cet instant magique où il s’évade de son corps pour entrer en communion avec le monde, ce sentiment de plénitude qui, un bref instant, le libère de tous ses maux. Usant d’une narration proche de la perfection, l’homme se livre, partage ses angoisses, ses divagations, ses malaises vis-à-vis de la société et ses réflexions sur le sens de la vie. Un parcours (sur)prenant qui permet à l’auteur d’aborder des thèmes qui lui sont chers, tels que la mort paternelle, l’angoisse, la dépression, l’automutilation et le rejet de l’obésité. Un tome qui permet de plonger dans la noirceur de la nature humaine, dans la spirale auto-destructrice d’un homme privé d’amour paternel et vite qualifié « hors norme » par une société qu’il cherche de plus en plus à quitter… la tête la première.
Graphiquement, nuançant le noir et le blanc avec brio, Manu Larcenet livre une ambiance sombre et glauque et des personnages répugnants, mais d’une grande expressivité. Si les dialogues lors de l’interrogatoire sont accrocheurs et les monologues du personnage central prenant, les moments plus contemplatifs et les silences proposés par l’auteur allient force et splendeur. Et que dire de ces dessins d’enfants (les siens), tout en couleurs, qui viennent interrompre le ballet grisâtre pendant les BLAST ? Ces quelques passages en couleur sont distillés avec justesse et parcimonie. Des collages réalisés par Polza à l’hôpital psychiatrique aux tableaux qui semblent exprimer sa propre souffrance, Larcenet livre un album visuellement exceptionnel.
Découvrez également la bande annonce de ce chef-d’œuvre que vous retrouverez également très bien classé dans mon Top de l’année :