Chateaubriand Et Hugo : “Je veux être l’Océan ou rien!” (intégrale)

Publié le 24 octobre 2012 par Sheumas

Poussé par la vague romantique, le jeune Victor Hugo avait affirmé, vent en poupe, qu’il voulait « être Chateaubriand ou rien ». Lorsqu’il s’est retrouvé en exil à Guernesey, sur son « rocher d’hospitalité » son « tombeau probable » comme il l’écrit dans les Travailleurs de la mer, du haut de son « look-out », il apercevait la côte française, la ville de Saint-Malo et, imperceptible, le Grand-Bé, où gît toujours l’écrivain romantique dont il avait évoqué le nom.

En ces temps romantiques, l’appel à l’océan, aux tempêtes, à la roche granitique révèle une volonté. Hugo est bien conscient d’ériger en toute majesté sa propre figure d’Exilé, cet exilé républicain qui ne « rentrera en France » que « lorsque la Liberté rentrera ». Un martyr de la République, un peu comme le père de Gwynplaine (l’homme qui rit), Lord Clancharlie, envoyé derrière la barrière hérissée des montagnes suisses.

Et en attendant, il demande à son fils Charles de le prendre en photo, posant contre un rocher, auprès d’un menhir, face à la mer... Il dessine l’océan, le peint, le réinvente, en fait le personnage principal de ses fictions.

Alors, si l’on se tourne du côté de Chateaubriand quelques années plus tôt, il est intéressant d’observer le travail qu’opèrent sur cette thématique ses Mémoires d’Outre-Tombe Lorsqu’il évoque sa naissance, Chateaubriand ne fait rien d’autre que Victor Hugo : un sens aigu de la mise en scène ! Les mots construisent la légende et la bouteille part à la mer laissant ainsi émerger les figures de proue du Romantisme français.

« La maison qu’habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étroite de Saint-Malo, appelée la rue des Juifs : cette maison est aujourd’hui transformée en auberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J’eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées. »