Electrolux, Montebourg, et le protectionnisme européen

Publié le 24 octobre 2012 par Edgar @edgarpoe

La semaine dernière, Arnaud Montebourg a protesté contre la concurrence sud-coréenne dans le secteur automobile (la Corée du Sud, au passage, encore un pays qui, comme la Suisse, a oublié qu'il était trop petit pour se défendre dans la mondialisation. Heureusement qu'ils n'ont pas à craindre les chinois...)

Il s'est vite fait remettre à sa place par l'un des vrais patrons de l'économie française, le commissaire européen au commerce, Karel de Gucht.

Hier, au chapitre défaite de l'industrie française, on a appris la fermeture d'une usine Electrolux qui employait 420 personnes à Revin.

Electrolux n'est pas en faillite, la production est simplement délocalisée.

Pas en Corée du Sud, en Pologne, à Olawa. Dans l'Union européenne.

Comme le rappelait Karel de Gucht, d'ailleurs, "un grand nombre des voitures Hyundai et Kia vendues en Europe ne proviennent pas de Corée du Sud mais de Tchéquie et Slovaquie, deux pays de l'UE."

Les idées simplistes de protectionnisme européen, défendues par Montebourg et d'autres, ne pourront donc rien, ni pour les salariés de l'automobile française, ni pour les salariés ardennais d'Electrolux.

Ce dont souffre l'industrie française c'est de l'euro, principalement.

S'y ajoute également une concurrence effrénée interne à l'Union européenne, accélérée à dessein.

Par exemple, Electrolux, pour ses usines polonaises, aura pu toucher jusqu'à 50% d'aides publiques (lire "European funds for entrepreneurs - guidebook through operational programmes 2007-2013", sur le site de l'agence d'aide polonaise aux entreprises)

Pour pouvoir livrer en France les machines Electrolux et les voitures construites en Pologne, il faut également des infrastructures (autoroutes etc.)

Ca tombe bien, la Pologne recevra encore 67 milliards d'euros de la part de l'Union européenne sur 2007-2013, pour ce faire (avec une demande de rallonge de la part de l'Union européenne).

En 2007, Electrolux fermait 500 postes en Irlande, encore pour la Pologne. Le mouvement n'est pas anecdotique, c'est une tendance de fond.

On notera au passage que contrairement à ce que l'on raconte sur la nécessaire montée en gamme de l'économie française, ce sont ses productions haut de gamme (AEG) qu'Electrolux envoie en Pologne.

Inauguration en 2006 de l'une des usines polonaises d'Electrolux, sur un site public polonais

On peut estimer qu'il faut se réjouir de voir la Pologne rattraper ainsi son retard, pour le plus grand bénéfice de la cohésion européenne.

La façon dont les choses se passent laisse pourtant penser que ce qui arrive aujourd'hui aux salariés français ou irlandais, lâchés pour d'autres pays de l'Union, arrivera demain aux autres qui seront lâchés pour les nouveaux entrants - Turquie, Ukraine ou autres associés.

Et on lit aussi que les salariés polonais sont traités, là-bas, de façon indigne.

Le Guardian, en juillet, détaillait comment les salariés d'une usine polonaise travaillent pour 350€/mois, sont entassés dans une cité-dortoir à 60 kilomètres de leur lieu de travail d'où ils sont transportés en bus, ont droit à 20 minutes de pause quotidienne et sont tenus à faire des heures supplémentaires.

Il est donc plausible que le programme européen ne soit pas d'élever le niveau de protection sociale des polonais vers celui de la France, mais bien d'amener les salariés français à se résigner aux conditions polonaises.

Les invocations au protectionnisme européen sont donc assez largement, vouées par avance à l'inefficacité. Sortir du système européen, de l'euro et de l'Union, est la seule solution viable pour maintenir un niveau de protection sociale digne.

Et cette sortie ne se fera pas contre les salariés polonais, elle est destinée à affirmer partout que ce système de destruction des liens sociaux doit finir, tout de suite, sans attendre une réorientation sociale qui ne viendra pas plus rapidement que Godot.

Ceux qui prétendent le contraire sont soit illusionnés, soit font partie de la classe qui profite de la surexploitation des salariés et de la concentration accrue des inégalités. On ne s'étonnera pas, par exemple, de lire aujourd'hui qu'Andreas Papandreou gagne 46 000 € mensuels pour donner un séminaire aux étudiants de Harvard.

*

Sur le sujet de la nullité européenne, on peut regretter enfin que, même s'il y consacre un excellent entretien à Médiapart, Frédéric Lordon, contrairement à Todd, ne franchisse pas le pas : il reste critique sur l'UE et l'euro, mais ne propose de sortir ni de l'un ni de l'autre. Au risque d'ouvrir, comme Mélenchon, un espace immense au Front National.