Interview de sébastien tellier : « le prochain album va être énormissime »

Publié le 23 octobre 2012 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Sébastien Tellier était en concert ce mercredi au Transbordeur à Lyon (Villeurbanne, si on chipote). J’en ai profité pour me glisser dans sa loge avant les balances pour aller lui poser quelques questions. Il m’installe un fauteuil, retire son attirail (lunettes, écharpe et veste satinée), roule un joint, et c’est parti.

 Ça fait maintenant six mois que « My God Is Blue » est sorti. L’Alliance Bleue, ça marche bien ?

Non (rires). Enfin, y’a deux façons de voir le truc. A la fois, ça marche extrêmement bien parce que j’ai 100 000 followers. Donc je suis un des plus grands, voire le plus grand mouvement communautaire français. C’est quand même fantastique ! En six mois : hop, hop, hop et voilà ! Ça c’est fabuleux, parce que je sens quand même avoir 100 000 personnes qui veulent appartenir à mon mouvement. C’est pas juste des gens qui achètent mon disque. C’est qu’ils veulent faire partie de ma communauté d’esprit et ça c’est très important. C’est le point très positif, qui me fait jubiler.

Ensuite, il y a des points très négatifs. Déjà, il a eu trop de demandes le premier week-end sur le site internet. Parce que, dans un premier temps, l’Alliance Bleue devait exister sur un site internet, le site internet de l’Alliance Bleue. Et là, dès le premier week-end, le site a implosé (ou explosé : on s’en fout) parce qu’il y a eu trop de demandes. Ça aussi, je suis très fier de le dire donc j’en profite. Mais seulement, quand le site a explosé, on s’est embrouillé (alors là ça devient beaucoup plus terre à terre) avec les gens qui faisaient le site internet (parce que moi, je ne sais pas le faire tout seul hein. On a du appeler une entreprise qui sait faire les trucs informatiques). Donc le site explose, on a plus rien, enfin, ça marche à peine : on peut seulement regarder quelques vidéos (alors que normalement, le site, c’est beaucoup plus que ça).

Et donc le temps de retrouver une autre entreprise, remonter le site, qu’ils comprennent ce qu’on voulait en fait (ils croyaient qu’on voulait refaire la même chose qu’avant, mais en fait non), le site n’est toujours pas reconstruit des mois après (rires). Et donc, je ne peux rien développer pour l’instant.

Donc déjà, je ne peux pas faire mes appels aux dons (ce qui est très important pour pouvoir construire mon parc d’attraction) et je ne peux pas échanger avec les gens. Moi ce que je voulais, c’était, par exemple, que des jeunes inventeurs se rejoignent, créent des machines encore plus formidables, qu’on s’amuse avec. C’est tout ça l’Alliance Bleue. Par exemple, on pourra s’échanger des adresses shopping pour acheter des trucs complètement fous. Il existe des hôtels fantastiques dans le monde. Par exemple, il y a un hôtel tout bleu avec, à l’intérieur, un grand huit tout bleu. Je veux qu’on se fasse des week-end là-bas. Et tout ça ne peux pas exister à cause de ce truc.

Alors, il y a déjà ce problème de site internet mais en plus, pour les donations, j’ai beaucoup de mal vis-à-vis du gouvernement parce que ma communauté n’a pas de statut : ce n’est pas une association et on ne peut pas mettre non plus que ce soit à but non lucratif étant donné qu’avec les dons, je m’achèterais certainement une Rolls ou je me ferais faire une piscine et après j’inviterais les gens à se balader avec moi.  Il y a un statut qui n’existe pas vis-à-vis de l’État et c’est très difficile d’expliquer aux gens de l’administration qu’on va demander de l’argent à des gens et qu’on va en faire ce qu’on veut : soit ça va servir aux gens, soit à moi (rires).

« Dans mon esprit ça va »

Donc tout ça c’est quand même très embêtant, mais on va réussir. Moi je suis juste chanteur et je me suis bien rendu compte, en faisant tout ça, que vraiment j’étais juste un artiste et pas du tout un homme d’affaires et encore moins un administrateur. En fait, l’Alliance Bleue demande un travail global et j’ai des équipes de juristes (et tout ça) qui mettent le truc en place donc pour moi, c’est un truc énorme, un vrai investissement personnel.

Donc j’espère que ça va venir et je suis désolé pour les gens qui attendent depuis si longtemps. Mais en même temps, dans mon esprit ça va, parce que pour moi, la France l’un des territoires sur lesquels je vais. Le disque est sorti il y a vraiment pas longtemps en Angleterre, il vient à peine de sortir au Canada et il est même pas encore sorti aux États-Unis. Finalement, il y a la France, ok, mais tout le reste c’est encore tout frais et ils pourront découvrir le site comme il faut. Il n’y a que pour nos amis français que c’est un peu dommage et ce sont les seuls qui ont du patienter.

Du coup, des rassemblements de l’Alliance Bleue ont déjà pu avoir lieu ?

Si si, on a quand même fait des rassemblements, parce que le site permet de dire « rendez-vous, là à telle heure » par exemple. Donc on a fait un immense rassemblement à Paris. Y’a des gens, environ 250 personnes, toutes habillées en bleu, qui sont partis de la Place de la République, qui ont couru dans Paris, et qui sont allées jusqu’à la Galerie Perrotin qui est une galerie d’art à Paris que j’aime beaucoup (je suis ami avec Perrotin, c’est quelqu’un que j’apprécie énormément). Là, on a fait une sorte d’immense happening avec des fontaines de boisson bleue. Tout le monde pouvait boire ma boisson bleue, « l’Elixir bleu« , gratuitement. Et c’était fou parce je crois qu’on a jamais vu une galerie d’art (et pourtant elle est immense) aussi blindée.

Je ne pouvais même plus marcher, vraiment. C’était de la folie. C’était formidable. C’était le premier rassemblement réel de l’Alliance Bleue, à part les concerts (parce que les concerts sont quand même aussi une sorte de rassemblement). C’était fantastique. J’ai pu aller réellement au bout de mon fantasme : le taxi m’a déposé, j’avais tout un panier de pétales de fleurs et je les jetais comme ça (il mime) sur mes fidèles. Ils s’écartaient pour me laisser passer jusqu’à mon canapé. Oh, c’était fabuleux (rires). C’était vraiment mes rêves d’adolescent qui prenaient forme, quoi.

En écoutant « My God Is Blue », ta musique nous emmène dans un immense Sahara de sable bleu perdu sur une planète inconnue. C’est une musique qui tranche vraiment avec tes précédents albums. Y’aurait pas un lien implicite qui lierait tes albums entre eux et qui ferait de ta musique un tout ?

Si, d’une certaine façon. Disons que le but général de ma carrière est de me renouveler en permanence : priorité absolue. Je déteste les groupes qui font 15 albums qui sont 15 fois les mêmes. C’est insupportable. Le minimum, quand on est un véritable artiste et qu’on a atteint une étape, c’est d’essayer d’atteindre la suivante. C’est ça la démarche artistique. C’est ça la démarche intellectuelle. C’est une quête de vérité. J’ai écris, à 20 ans, l’histoire de ma vie artistique. Quand j’avais 20 ans, j’avais pas signé de contrat, j’étais personne et j’ai écris un livre dans lequel je raconte tous mes rêves en tant que futur artiste : faire un album sur la politique, la sexualité, Dieu, etc.

Suivre ce petit livre est facile pour moi. Et on se rend compte, en le lisant, que si je fais tous les albums prévus, ce serait une description naïve d’un enfant qui découvre le monde. Donc je fais un art de découverte, un art naïf. C’est pour ça que je dis souvent que l’artiste est l’ennemi du spécialiste. J’ai envie d’etre en exaltation, exactement comme un enfant. J’ai envie de découvrir des choses et, en fait, mes disques c’est un en enfant qui regarde un sujet comme Dieu, par exemple, ou la sexualité et qui raconte ce que lui en comprend.

Et moi c’est exactement ça. On voit bien que « Sexuality« , surtout avec ma personnalité, j’aurais pu en faire un truc super trashy qui sent le cul à mort, la sueur voire la mouille. Je l’avais au bout des doigts, mais non. Je l’ai fait naïvement. C’est un album dans lequel on a l’impression qu’un petit sexe tout mignon, tout épuré, saute d’un petit chamallow sur un autre chamallow. Et dans mon dernier album, c’est pareil, ma vision de Dieu est celle d’un enfant qui rentre dans une cathédrale, qui voit des immensités, des coins mystérieux, des petites cachettes, des parloirs,… C’est le délire total quand on est gosse et qu’on entre dans une cathédrale ! C’est ça que j’ai essayé d’expliquer. Donc le lien de tout ça, c’est finalement d’exprimer un regard naïf sur le monde.

« Le prochain album va être ‘énormissime’ »

Est-ce que dans ce petit livre dont tu viens de parler, qui « prédit » ta vie musicale, t’as déjà trouvé ton prochain concept ? 

 Je ne peux pas en parler. J’ai déjà commencé à enregistrer le prochain album, donc pour moi c’est carrément du sérieux. Mais je ne peux pas parler du concept, évidemment, parce que sinon je tuerai la surprise et puis j’ai pas envie qu’on me pique l’idée (rires). Mais je suis hyper fier de mon prochain concept. Là, j’ai quasiment fini de composer et je suis extrêmement fier de mes nouvelles compositions qui sont certainement les meilleures que j’ai jamais faites.  Le prochain album va être énormissime. C’est tout ce que je peux t’en dire (rires).

Tu as dit que le but d’un musicien était d’être aimé. Pourquoi, alors, avoir choisi un personnage aussi extrême et controversé ?

 C’est vrai que c’est quelque chose que je ressens quand on m’en parle. Il y a des journalistes qui me disent : « Vous divisez vraiment, hein. » Mais moi je ne m’en rends pas compte. Je ne suis entouré que de gens qui m’aiment. Je ne vais pas être copain, ni travailler, avec des gens qui me détestent (rires). Finalement, je vis dans un monde où tout est super, où je suis génial. Après, il y a le mode extérieur où des gens peuvent être plus critiques que mes fans.  Mais je pense aussi que c’est à travers ce n’importe quoi que je vais être aimé. C’est simplement long de comprendre ça. C’est, par exemple, comme apprécier Picasso.

A ses débuts, Picasso faisait des trucs un peu plus conventionnels qu’à la fin. Et c’est que quand on est petit et qu’on ne comprend rien au monde, on regarde les toiles de Picasso sur la fin de sa carrière et on se dit que c’est du grand n’importe quoi. Moi c’est ça que je fais. Ça prend du temps de me comprendre. Et tant mieux ! C’est ce qui fait que, peut-être, je pourrai faire de la musique jusqu’à soixante-dix ans si je vis jusque là). Il faut prendre son temps, mais au final, tout le monde m’aimera.

Mais tu n’as pas peur que les gens arrivent à comprendre « My Gos Is Blue » seulement quand un autre album sera sorti ?

C’est possible ! C’est vrai que c’est très important, le rapport au public : « Est-ce que le public me comprend ? Est-ce qu’il m’aime ? » Mais il y en a déjà suffisamment qui m’aiment. Je suis déjà assez content comme ça. Après, je pourrai viser un truc genre Lady Gaga, mais je ne veux pas de ça parce que c’est une vie abominable : passer sa vie à se faire maquiller, à essayer des robes… Moi je déteste me changer !

Personnellement, je suis très à l’aise dans ce que je fais. Après, plus je vendrai de disques, plus je serai connu, plus je serai heureux. Mais la véritable obsession, pour moi, c’est d’aller plus loin dans mon parcours artistique. Plaire aux gens n’est pas ma vraie priorité. Ma vraie priorité, ce n’est même pas d’être compris ; c’est de simplement m’exprimer. C’est ce que je place en premier aujourd’hui.

J’ai longtemps été mal aimé. Maintenant, je suis peut-être, grosso merdo, aimé par la moitié et détesté par l’autre, mais avant tout le monde me détestait (rires). C’est pour cela, qu’à l’époque où j’ai dit qu’un artiste voulait être aimé, c’est parce que j’avais besoin d’amour. Mais cet amour là, je l’ai reçu avec les succès de « Sexuality » et « My God Is Blue« . Maintenant, je me sens aimé (même si j’ai des détracteurs).

Ta première partie, ce soir et sur plusieurs dates de ta tournée, est assurée par Saint Michel. Tu les as écouté ?

Ils font d’excellentes galettes (rires), mais ça veut dire disques aussi. Mais non, je ne sais même pas qui c’est ! Je ne connais aucun nom. D’ailleurs, quand j’ai découvert le fameux site Pitchfork (il a appris sa connaissance il y a six mois), LE site musical du monde, je ne comprenais rien aux noms des groupes ! Ils ne savent plus quoi inventer : « Hitapalampapa » (je pense qu’il voulait parler de Tame Impala).

Donc pour moi c’est un flot de noms qui est bien trop impressionnant pour que je m’y intéresse, finalement. Et donc, tous les groupes, je m’en fous complètement. Il se trouve que, de temps en temps, je tombe sur une chanson que je fait écouter mon directeur artistique ou un ami et donc, ensuite, je connais le nom de l’artiste. Sinon je suis incapable de retenir le moindre nom y compris de mes premières parties. Mais ça ne veut pas dire que je ne les respecte pas, hein !

« En France, c’est la grande catastrophe de la radio »

Je t’ai posé cette question parce que j’ai appris que t’avais découvert Chairlift après avoir su qu’ils avaient étés ta première partie sur pas mal de dates.

Oui ! Mais complètement ! Voilà, ils font mes premières parties, mais moi je ne m’en souviens pas. Et puis un jour, en marchant dans Paris, je vois ce mec arriver (le mec de Chairlift) mais je ne le reconnais pas et  je me dis : « Tiens, je connais ce mec. » Et il me salue, me serre dans ses bras, à l’anglo-saxonne quoi. Même pendant qu’on se serrait, je me disait : « Mais merde, c’est qui ? » Il m’annonce : « On est en concert dans la rue, là, ce soir ». Je voyais toujours pas. Puis après, j’ai appris que c’était Chairlift. Ensuite, j’ai écouté le disque et, effectivement, c’est formidable. Leur nouvel album est fabuleux ! C’est vraiment ce que devrait être la pop aujourd’hui. Tout devrait être comme ça en pop et c’est ce que les radios françaises devraient passer. Mais en France, c’est la grande catastrophe de la radio et rares sont celles qui pourraient passer Chairlift. C’est malheureux qu’ils ne soient pas plus connus en France. C’est vraiment trop con.

Chez Across The Days, on parle aussi cinéma et séries. Ton film et ta série favorite ?

J’ai grandi en regardant les films et les séries. J’ai façonné ma personnalité, pas en fonction de mes parents, mais en fonction des personnages de films. J’ai eu un rapport archi-obsessionnel avec l’audiovisuel, même les émissions télé. Je suis accroc aux écrans (il désigne son iPad reposant à côté de ses feuilles à rouler). Donc mon film préféré, ça doit être « Tess » de Polanski et ma série préférée,… Je pense que c’est « True Blood« . Pourtant je déteste les séries et les films de vampires ; enfin pas tous les films : « Le Bal des Vampires » et « Dracula » sont fantastiques. Mais toutes ces espèces de trucs modernes de vampires : c’est à chier ! Dans True Blood, ok y’a des vampires mais c’est fantastiques. C’est trashy et décalé jusque comme il faut.

Quand t’es pas dans ton personnage, tu fais quoi ? Genre le dimanche après-midi quand il pleut ?

Je ne suis un énorme kiffeur et ce que j’aime, c’est me faire plaisir avant tout. Bon, on va dire un jour de pause, hein. Parce que mon dimanche n’est pas le même que les autres : j’adore travailler. On va dire qu’un jour de pause, pour moi, c’est télé et biscuits. C’est vraiment ce que je préfère faire.

Là , en ce moment, je mate plusieurs séries en parallèle. Je mate Homeland : sympatoche. Je mate Revenge : sympatoche. Et je mate une série danoise fabuleuse,… merde, comment ils l’ont appelée en français ? Enfin c’est une série danoise merveilleuse qui mêle crime et politique (de ce qu’il m’en a dit, je suppose qu’il s’agit de « The Killing »). C’est vraiment génial. Les danois sont très forts en séries.

La marque Lu, qui fait les pépitos, est possédée par le groupe Kraft Food dont les actions se portent plutôt bien. T’as pensé à être actionnaire chez eux ?

(rires)

Non, je n’y ai jamais pensé ! Surtout que j’ai plutôt détourné le produit. Le pépito bleu, c’est tout de suite associé à la drogue. Mais y’a un truc que je trouve super bizarre, c’est que Granola a sorti une pub sur tout un fond bleu en disant : « La simplicité peut aussi conduire à être original (ou une connerie du genre) ». Comme si Granola répondait à pépito, comme si je faisais partie de pépito ! (rires) Mais je ne sais pas si c’est lié. Peut-être que c’est juste moi qui fabule.

Mais après, non, je ne ferai jamais partie de l’équipe pépito, et encore moins Kraft. Ils font un fromage absolument dégueulasse et représentent pour moi ces entreprises immenses. J’en ai rien à foutre d’être un gauchiste, mais je déteste le côté « grosses entreprises qui font de la merde et qui en vendent à tout le monde ». Ces espèces de rouleaux compresseur qui écrasent l’humanité, je les vomis. Mais sans être un gaucho (je ne dis pas : « Ah les patrons, on va leur couper la tête), je trouve complètement débile. C’est vraiment un état d’esprit que je n’aime pas du tout. Je ne supporte pas ça.

S’en est suivi le concert le plus illuminé qu’il m’ait été donné de voir. Sombrez dans la propagande de l’Alliance Bleue. Vous ne le regretterez pas.