1ère de couverture « La grande bleue » de Nathalie Démoulin aux Editions du Rouergue 2012
« La mer qu’on voit danser le long des golfs clairs… » Partir. Ailleurs c’est déjà autre part. 1967, Marie, tu en as des rêves bleus quand avec ta copine Delphine tu fugues en mobylette jusqu’à la ville. Court sera le temps du diabolo menthe pour toi, Marie, née dans une Franche-Comté aussi neigeuse qu’ouvrière. Difficile d’échapper à ta condition, au père qui boit son canon, à la mère droite dans sa robe austère, à ce frère revenu d’Algérie le cœur fracassé de vide. Alors Marie, en amoureuse, tu choisis Michel aux avant-bras costauds et à l’horizon fait de parties de pêche. Trop tôt, tu es la mère de deux marmots suspendus à tes illusions. L’appartement dans le HLM, tu l’entretiens mal, préférant rêvasser à cette émancipation que tu n’as pas su saisir. Comme les copines, tu te retrouves à l’usine et tes mains maladroites assemblent les housses de voitures. En arrière-plan, La France d’avant le séisme de la désindustrialisation, celle qui plante les premiers piquets de grève, celle qui le poing levé exige des congés payés. Tu partiras Marie. « La grande bleue » écarquillera tes yeux clairs et ton visage se patinera de souvenirs. Puis, il y a la famille, Simone la belle-sœur aux cheveux décolorés, la clope au bec et la stérilité en névrose, et ton frère qu’on enferme chez les fous. Puis, il y a les amis, Nicole dans sa robe rouge au bras de Nordine l’ouvrier aux yeux noirs avec le racisme qui siffle sur leurs têtes. Tu l’as aimé Nordine, tu as aimé son pantalon de tergal, sa peau brune, l’insistance de son regard. Tout prend fin un jour Marie. Tu sombres, HLM, les marmots, l’usine. Dépression. Il t’en faudra du temps pour remonter la pente. Le décès de la mère, la guérison improbable du frère et ta copine Delphine, fidèle, le syndicalisme en bandoulière. « La Grande bleue » à nouveau pour rythmer tes décisions. Le divorce, la vie communautaire, les hippies fumant plus qu’ils ne pensent. L’usine aussi, encore, toujours là, protectrice avec sa solidarité et ses ongles noirs. La vie quoi. La vie pour devenir une femme.
Avec ce très beau roman « social » Nathalie Démoulin redonne de la grandeur à un monde ouvrier si souvent méprisé. Qu’il est bon de retrouver « le genre humain » en littérature et que ce choix soit fait par une femme. En héritière de « Germinal », Nathalie Démoulin évoque sans misérabilisme la France humble des trente glorieuses, celle qui se levait tôt et tentait d’oublier une lointaine Algérie, mais aussi celle des premières chansons de Renaud. Il y a du « Ma gonzesse » et du « Dans mon HLM » en fond sonore dans la langue poétique et nerveuse de cette auteure qui ose écrire ce que l’on doit à celles et ceux qui ont mis leurs mains dans le cambouis. Au-delà de ce regard aiguisé et tendre sur une génération, Nathalie Démoulin s’interroge aussi avec clairvoyance sur le parcours d’une jeune femme qui tente de mettre en mots son mal intérieur qui n’est autre que cette nécessité de s’affranchir d’un rôle dans lequel elle s’est enfermée par ignorance. Long et douloureux est le chemin pour se réapproprier une identité quand la vie offre si peu d’horizons. Mais, il y a la mer, « bergère d’azur infini », la mer autorisant tous les possibles. « On ne naît pas femme, on le devient ». Voilà, peut-être la leçon à tirer de ce roman humaniste d’une grande justesse qui déposera sur votre cœur une fine pellicule de sel, celle du songe de la « Grande bleue ».
Astrid MANFREDI, le 23/10/2012
Informations pratiques :
Titre : La grande bleue
Auteure : Nathalie Démoulin
Editeur : Editions du Rouergue
Nombre de pages : 205
Prix France : 18,80 euros
Merci à Monsieur Renaud pour ses chansons