Jean-Claude Pirotte marie grand Nord, Inuits, Paris et petits riens pour une évocation des lieux de la poésie.
Faites-vous d’abord des lieux », conseille Joubert. Il assure qu’ils seront la source de tout romanesque ou de toute poésie. Qu’ils susciteront l’action ou la méditation. Idée romantique, peut-être. Mais elle n’a pas fini de se révéler « productive ».
Que ces lieux deviennent des lieux communs, c’est encore propice à la vie de la littérature – à la vie tout court. « Tous les lieux communs, note-t-il, ont un intérêt éternel. Ils ne sont lieux communs et universels que parce qu’ils plaisent toujours et partout à la nature… Les circonstances y mettent leur variété… »
Les « lieux » d’un ouvrage deviennent communs à l’auteur et au lecteur. Là se produit la rencontre et se déclare l’affinité. Et là surtout se dévoile la variété.
C’est, entre autres, dans cet ordre d’idées que la belle revue Inuits dans la jungle propose un entretien de 1973 avec Tomas Tranströmer. On y peut lire ceci : « … J’ai toujours un point de départ géographique. Dans Sentiers, le petit recueil qui est sorti cet automne, chaque poème se rattache à un lieu précis… En fait je n’invente rien. Je ne mens jamais sur le paysage. »
De ce lieu universel, l’océan, Tomas Tranströmer puise une poésie qui reflète à la fois le lieu même, et l’au-delà du lieu.
Il y a des jours d’hiver sans neige où l’océan est parent d’un pays de montagne,
tapi dans sa parure de plumes grises,
un court instant en bleu, de longues heures avec des vagues comme un lynx
pâles, cherchant vainement un appui sur le gravier des plages.
Ces jours-là les épaves quittent l’océan pour chercher
leurs armateurs, s’installer dans le vacarme de la ville, et des équipages
de noyés s’envolent vers la terre, encore plus légers que la fumée des pipes.
(C’est dans le Nord que courent les vrais lynx, aux ongles affûtés
et aux yeux rêveurs. Dans le Nord, où le jour
habite dans une mine, de jour comme de nuit.
Où l’unique survivant peut s’asseoir
près du poêle de l’aurore boréale et écouter
la musique de ceux qui sont morts gelés.)
Les lieux deviennent aussi de hauts lieux communs chez Jean Pérol, que je lis depuis Le Feu du gel et Le Coeur véhément. Mais ces lieux sont frappés de nostalgie car ceux qui règnent dans notre mémoire sont effacés par le temps, et les souvenirs de leur présence intime se trouvent brouillés par une obscure déchéance:
Maison du Peuple Palais Royal
pourquoi leur suis autant égal
ton nom jamais n’est dans Paris
dans le murmure des librairies
mon beau pays aux mille torts
à petits pas vers quelle mort
m’en vais-je au long de ces jets d’eau
qui ne diront jamais mes mots
toi passant passe qui a mal
Palais du Peuple Jardin Royal
sous le ciel clair sous le ciel gris
loin du silence des librairies.
Mais de quoi naît donc la poésie, sinon des lieux ? Cette poésie qui, selon Joubert encore, doit se « cultiver dans la captivité, dans les infirmités, dans la vieillesse ». « La poésie, dit-il, construit avec peu de matière, avec des feuilles, avec des grains de sable, avec des riens… »
Thomas Vinau:
Le petit mouton de poussière
traversa portes et fenêtres
terrasses jardins chemins contrées
toute une grande vie de vadrouille
sans se rendre compte le moins du monde
que c’est le vent qui le portait
- Nombre de pages160
- Prix12€