- On peut commencer par cette vidéo assez connue:
Ken Robinson explore avec son intelligence et son humour habituels le modèle éducatif dont nous avons hérité : c’est celui des Lumières. Une période – il y a plus de deux cents ans – à l’origine de la révolution industrielle. Et le modèle scolaire répond toujours aux besoins de l’industrie.
Mais aux besoins d’une industrie qui a disparu. Une industrie fordiste et tayloriste où les tâches sont divisées, où chacun travaille à son poste en ignorant superbement ce que fait son voisin. Il est interdit de copier, d’ailleurs.
Alors que les industries naissantes – qu’il s’agisse d’Internet ou du développement durable – exigent la coopération, la créativité, la faculté d’adaptation.
Le modèle scolaire actuel ne répond donc plus aux exigences du marché du travail et, si le diplôme reste nécessaire, il est insuffisant…
Ken Robinson dénonce aussi une « fausse épidémie » : celle du trouble des enfants hyperactifs que l’on traite à l’aide de quantités impressionnantes de médicaments. De médicaments qui les endorment alors qu’il faudrait les éveiller, les rendre plus ouverts, plus responsables à l’utilisation des nouveaux médias…
L’école a besoin d’une révolution culturelle : pas demain. Maintenant.
- -Ci-dessous: un article pris ICI: » Le système scolaire en question «
L’éducation est aujourd’hui dans une impasse. C’est non seulement parce quelle est intégrée à un système mais c’est aussi parce que ce système est désespérément défaillant et qu’il s’en va en déshérence… Cette fuite est démente puisque l’éducation est à l’origine et est supposée être le lieu de l’épanouissement personnel, de l’ouverture à la pensée et à la connaissance, de l’élévation à la culture, et le lieu de l’intégration à l’âge adulte et à la société. Pourtant, le système éducatif est en panne car il échoue à rencontrer ces impératifs premiers.
Le problème de l’éducation actuellement c’est que son système est engoncé dans un autre système, celui de l’économie, de la compétition, de la consommation et de la spéculation. L’éducation s’est écartée de son objectif social et sociétal pour intégrer un objectif plus à la mode : l’économie de marché. Le savoir n’est plus intégré mais consommé. Les programmes sont normalisés et standardisés au lieu d’être libres et sources d’inspiration. L’évaluation discrimine les élèves au lieu de les aider à progresser. Des jeunes s’ennuient au lieu de s’épanouir et des professeurs sont coincés dans un programme à respecter.
Le problème lié au système éducatif vient du fait que nous avons persuadé insidieusement les élèves, les professeurs, les parents et la société entière que le droit à l’erreur était banni… Nous avons instauré l’apprentissage de la certitude alors que nous ne savons même pas à quoi ressemblera le monde dans cinq ans… Nous avons instauré la peur de l’échec et plutôt que d’éduquer les individus, nous avons fabriqué un système scolaire qui reproduit l’inertie méméplexe. Autrement dit, la peur de l’échec (élément devenu objet culturel) est répliquée inconsciemment par les professeurs et retransmise aux élèves dans une logique mimétique de sauvegarde du paradigme. Et tout cela pour supprimer la faute, pour lutter contre l’erreur, pour résister à l’échec. Mais l’échec de quoi ? En stigmatisant l’échec, le système éducatif se prive d’une prise de risque essentielle et formidable : la contingence, la culture du « pourquoi pas », la pensée alternative ; en somme la créativité. Dans une culture où l’on refuse l’échec et où l’on s’éduque dans la peur, il n’y a pas de place pour la créativité, ni pour la liberté…
Sans compter les désastres que peut avoir l’évaluation sur les élèves : au lieu de stimuler l’apprentissage, les notes sont vécues comme une forme de prix ou de sanction et sont donc source d’angoisse et de stress. Les notes ne donnent aucune indication sur le « comment progresser ? » mais donne une information très précise sur le rang… car « elles sont utilisées de façon normative », autrement dit elles comparent les élèves entre eux. En réalité, « ce ne sont pas les notes qui induisent une culture de la peur mais c’est la culture qui s’en sert comme d’un bras armé » (1) : elle structure l’esprit de compétition et elle est un outil de classement puis de sélection.
Les effets de cette calamité ne sont pas durs à cerner : crispation, échec scolaire, décrochage des professeurs, ennui général et frustration… Les « mauvais » élèves, qui sont mis au ban sont bien conscients qu’ils ne sont pas adaptés à un système qu’ils perçoivent comme abstrus. En fait, c’est le système éducatif qui n’est pas adapté à ces élèves. Il les a rejetés. Face à un élève qui s’ennuie ou qui décroche, le système éducatif ne sait pas quoi faire, et comme dans tout système fermé, quand il ne sait pas quoi faire, soit il ne fait rien, soit il fait ce qu’il ne faut pas (2). S’il ne les abandonne pas, le système éducatif cherche à enrégimenter de force les « rebelles »… et les obligent à rejoindre la culture de la compétition (c’est-à-dire qu’il les force à accepter la doctrine selon laquelle il y a des gagnants et des perdants). Nous n’éduquons plus nos enfants, nous les dressons à la résistance à l’échec.
Pourtant les fins de l’éducation sont nobles. Sans être exhaustif dans l’énumération des objectifs originels de l’éducation, on doit préciser ici qu’elle permet avant tout d’élever les individus au savoir et surtout de les intégrer à la société. En fait, l’éducation est censée permettre aux individus de trouver leur voie. Cela semble simple a priori, pourtant il apparaît clairement que ce n’est pas évident d’atteindre de tels objectifs lorsque l’on s’entête à demeurer dans un système schizoïde, fermé et suranné. C’est la raison pour laquelle le changement de paradigme est une étape plus que nécessaire dans l’élaboration de la nouvelle éducation : il faut sortir de ce carcan. Et cela commence par la violation de la norme…
Violer la norme c’est en réalité se battre contre le démiurge de la notion guindée de normalité. La conformisation à la normalité fait des ravages car elle empêche la création de valeur dans une société. Cette valeur doit provenir de l’ensemble des individus et embrasser la diversité. En violant la norme pour rentrer dans un processus inédit de création de valeur, les individus pénètrent la sphère féconde de l’imagination et réinventent la liberté. La créativité transforme la perception supposément établie et collectivement acceptée en une nouvelle vision alternative et originale de la réalité. Elle offre une kyrielle de possibilités et suppose donc que l’on sorte du cadre préétabli et flétri de la licence scolaire. Pour Ken Robinson, la créativité est la solution ultime pour redonner sens à l’éducation et faire cesser l’opprobre. C’est en accueillant la créativité avec amour que l’on sera capable de revoir notre façon d’enseigner, de « reconstruire notre conception de la compétence et de l’intelligence »(3). Faire l’avènement de la créativité signifie que le système éducatif autorise (ou permette) aux professeurs d’être créatifs pour qu’à leur tour ils permettent aux élèves de laisser libre cours à leur créativité. Ainsi chaque individu, élevé (éduqué d’une part, et hissé d’autre part), peut venir ajouter sa nuance chromatique au panorama participatif de la société.
Ce nouveau paradigme détruit des croyances collectivement assumées telles que l’éducation se fait à l’école uniquement ou encore que les établissements scolaires sont les seuls lieux où il faut briller. Cette prémisse pernicieuse est préjudiciable car elle est cause d’exclusion et de discrimination. En effet, les individus qui ne rentrent pas dans le schéma classique du système éducatif actuel, sont exclus. Le système échoue à mailler les individus car en voulant les uniformiser, il les disloque de leur talent naturel. En cela, il les prive de la chance de découvrir leur(s) compétence(s). C’est pourquoi, les « cancres » du système finissent par en sortir et vont chercher ailleurs leur propre champ de possibles. Par là même, ils se créent des espaces de liberté et parfois sans le savoir des espaces de création… D’ailleurs, éducation désigne étymologiquement l’action de « guider hors de ». En effet, l’école doit permettre à l’origine que l’on en sorte !(4) Ce n’est donc pas fondamentalement dramatique qu’un enfant n’ait pas un fonctionnement, une attitude proprement scolaire ; l’adjectif est par ailleurs plutôt péjoratif à la réflexion… Ainsi donc, les expériences extra scolaires peuvent parfois redonner de l’ambition culturelle et souvent ces expériences se jouent à peu : « il s’agit d’une valorisation qui vient de manière étonnante dans un cortège de gamelles » et « qui fait événement ». Ce type d’expérience est soumis à deux conditions : un renouvellement (un changement par exemple, une nouvelle donne), et une rencontre (une personne qui nous fait confiance et qui conséquemment nous valorise) (5).
Cette issue est possible si le système cesse de croire aux bienfaits de la culture de l’élitisme et commence à penser que les contours de l’événement éducatif sont perméables et souvent flous : il ne faut pas chercher à délimiter les espaces d’apprentissage, ni à les désarticuler.
Laurène Castor