Les choses ne s’arrangent pas pour les forêts tropicales et leurs habitants d’Amérique du sud.
La population locale mène depuis des années un combat désespéré contre la déforestation auquel le vaste Monde ne prête qu’une oreille distraite.
On sait que la forêt tropicale est le milieu de vie de nombreuses espèces animales et végétales qui non seulement ont le droit de vivres pour elles-mêmes mais aussi représentent par exemple la pharmacopée de demain. Détruire des plantes, c’est empêcher l’apparition de médicaments qui dans le futur permettront de guérir de certaines maladies.
Or les cartels de la drogue s’y mettent aussi,mais cette fois-ci non pas dans la forêt d’Amazonie, mais dans la forêt Maya, d’Amérique Centrale.
La forêt amazonienne ne sera bientôt qu’un joli souvenir. C’est ce que suggérait déjà en 2010 une étude californienne: d’ici à 2100, le changement climatique et la déforestation pourraient avoir causé la disparition de deux tiers des forêts tropicales d’Amérique du Sud. En Afrique, ce sont 70% des forêts qui pourraient mourir, et 80% de la biodiversité de la région amazonienne serait obligée de s’adapter… ou de mourir.L’étude, menée par Greg Asner du Carnegie Institution’s Department of Global Ecology de l’université de Stanford (Californie), est une première: auparavant, aucune projection sur l’adaptation des écosystèmes tropicaux n’avait été réalisée. L’enjeu est pourtant de taille: les forêts tropicales abritent plus de la moitié des espèces animales et végétales au monde.Mais la vie continue et depuis ce rapport, tout n’a fait qu’empirer.Selon la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies), ce sont chaque année 13 millions d’hectares de forêts qui disparaissent, soit l’équivalent de la surface de l’Angleterre.Le temps de lire cet article, et c’est la surface de quatre terrains de foot (un toutes les quinze secondes selon la FAO) qui aura disparu.C’est au tour de la Forêt d’Amérique Centrale de payer sa contribution à la civilisation du progrès.Du haut du temple IV de l’ancienne cité maya de Tikal, on a une vue spectaculaire sur les vastes étendues de forêt tropicale vierge d’Amérique centrale. En cette fin d’après-midi, des singes-araignées suspendus aux branches les plus proches s’étendent pour attraper de petits fruits.Les cris gutturaux des singes hurleurs résonnent à travers la canopée.
Cette forêt de plaine est le cœur de la réserve de biosphère maya du nord du Guatemala, un sanctuaire de 2,1 millions d’hectares qui couvre 19% de la superficie du pays et représente quelque 60% de ses zones protégées. La réserve, créée par l’Unesco, présente une large gamme de biodiversité, en particulier les derniers représentants d’une sous-espèce majeure d’ara écarlate.
Mais les magnifiques animaux qui vivent dans la réserve — on y trouve aussi des jaguars, des pumas, des singes hurleurs noirs du Guatemala et des tapirs de Baird – ne sont pas seulement soumis aux menaces ordinaires des régions tropicales, telles que les abattages illégaux d’arbres,
les incendies et le braconnage.
Des forces encore plus redoutables rongent la réserve de biosphère maya, parmi lesquelles les cartels de la drogue mexicains qui construisent des pistes d’atterrissage dans la forêt pour pouvoir transporter leurs chargements, les gangs salvadoriens qui y installent d’immenses fermes d’élevage pour blanchir l’argent de la drogue, et les mafias chinoises qui y transfèrent leur réseau d’abattage illégal pour fournir les marchés asiatiques en bois dur provenant de la forêt primaire tropicale. Résultat : ce trésor naturel et culturel — le cœur de la Selva maya, une forêt qui s’étend sur le Guatemala, le Mexique et Belize — a été réduit de moitié ces dernières années.
Pistes d’atterrisage et fermes d’élevage
La coalition internationale qui lutte pour préserver le cœur de la réserve a déjà quelques belles réussites à son actif. Grâce à son programme intensif de préservation, on note par exemple un retour de l’ara écarlate. La présence d’effectifs civils et militaires a été renforcée. Les délits environnementaux font davantage l’objet de poursuites, même si des progrès restent à faire. Et la mise en place de concessions forestières communautaires a assuré des revenus pérennes à des paysans guatémaltèques et leur a offert la possibilité de gérer une partie de la réserve. Les pratiques criminelles ont commencé à s’intensifier dans la région il y a une dizaine d’années, ce qui a contribué à accélérer la destruction de la moitié occidentale de la réserve [limitrophe du Mexique].
Le nord du Guatemala est l’endroit idéal pour faire le plein des avions latino-américains qui transportent de la drogue et pour transférer les chargements sur des camions qui accèdent plus facilement au Mexique. Selon Roan McNab, directeur du programme de l’ONG Wildlife Conservation society (WCS) au Guatemala, les cartels opéraient jusqu’ici dans un « climat d’impunité » car les forces de l’armée et de la police n’étaient pas suffisantes pour s’attaquer à eux. Les propriétaires des fermes d’élevage ont construit des dizaines de pistes d’atterrissage, dont une surnommée l’ »aéroport international” qui comptait trois by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance"> by Text-Enhance">voies et plus d’une dizaine d’avions abandonnés. C’est ainsi que plus de 40 000 hectares de forêt ont été réduits à néant. Pour désigner ce phénomène actuellement à l’oeuvre, les Guatémaltèques utilisent le néologisme « narcoganadería » formé à partir des mots espagnols signifiant drogue et élevage de bétail. Les cartels blanchissent l’argent de la drogue en investissant dans l’élevage de bétail et en vendant celui-ci sur les marchés mexicains.
Les agents de l’Etat sous la menace des cartels
Victor Penados est le coordinateur du contrôle et de la surveillance dans la réserve pour le CONAP, le Conseil national des zones protégées. Il désigne une pile de bois de rose confisquée aux fournisseurs des gangs chinois. Le bois provient d’une des saisies récentes dont les médias du pays ont beaucoup parlé. Cette pile, d’une valeur marchande de 125 000 dollars [95400 euros] selon M. Penados, se trouvait à bord d’un camion qui transportait le bois jusqu’à Puerto San Tomas de Castilla, un port caribéen [du Guatemala] d’où il devait être ensuite expédié en Chine. Les gangs qui travaillent pour les cartels chinois effectuent des abattages illégaux à la lisière sud de la réserve, mais M.
McNab craint qu’ils ne se mettent bientôt à déboiser la réserve elle-même puis à braconner les pumas pour les revendre sur le marché chinois qui contribue déjà à l’extinction des félins asiatiques. Des membres du CONAP et de la WCS ont été menacés à maintes reprises.Certains ont été pris en otages, d’autres ont dû se faire oublier pendant quelques semaines après des descentes menées en vue de récupérer des terres acquises illégalement pour y faire de l’élevage. M. McNab a été menacé d’une arme à feu par deux pilleurs d’une ruine maya située au cœur de la jungle. Selon lui, si des mesures ne sont pas prises pour mieux faire respecter la loi, la réserve va être confrontée à une “série de réactions en chaîne qui risquent de se propager jusqu’à la frontière du Guatemala avec Belize [à l'est]”.
Une « gestion durable » confiée aux communautés locales
Pour stopper la déforestation, le CONAP et ses alliés ont établi ce qu’ils appellent le “bouclier”, un réseau de pistes longeant la frontière orientale du parc national Laguna del Tigre [au nord du pays], avec trois grandes bases de patrouille pour le CONAP, l’armée, la police nationale et autres organismes. Au cours des quatre dernières années, le nombre de patrouilles et d’arrestations n’a cessé d’augmenter. Uaxactún, qui compte 280 habitants, est l’un des 14 villages qui a reçu des concessions de l’Etat il y a une dizaine d’années, dans le cadre d’une expérience de gestion des forêts par les communautés locales. A l’intérieur de ces concessions, qui couvrent près d’un quart de la superficie de la réserve, les habitants doivent protéger l’écosystème forestier et pratiquer une gestion durable du bois et des autres ressources. Ils doivent aussi s’abstenir de braconner, de procéder à des abattages intensifs et de pratiquer la culture sur brûlis.
Ils s’engagent à signaler toute activité illégale repérée au cours de leurs patrouilles. En contrepartie, le CONAP, la WCS et d’autres organisations fournissent un soutien technique et financier aux entreprises de produits forestiers. Des dizaines d’habitants travaillent aujourd’hui dans la récolte durable de bois de construction, de feuilles de palmiers, de chiclé (pour la fabrication de chewing-gum) et d’autres produits de la forêt. D’autres travaillent dans les scieries et les menuiseries locales.
Selon les chefs des villages, le système des concessions fonctionne bien, mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous. L’opération a notamment échoué dans le village de Cruce a la Colorada. En 2010, des altercations entre des propriétaires de fermes d’élevage et des gestionnaires de concession se sont soldées par des menaces de mort à l’encontre de membres de la concession et par l’assassinat du chef de village. Dans le climat de peur généré par ces événements, le projet est tombé à l’eau. Mais les organismes chargés de préserver la forêt gardent espoir. « On peut réussir », affirme M. McNab. « Il faut avoir une stratégie d’ensemble et un important réseau de partenaires, mais on peut y arriver. »
Source: Courrier International