Martin Scorsese, 2006 (États-Unis)
Les infiltrés est une histoire de taupes, ou de rats selon la langue, qui se finit mal (une interprétation possible du titre anglais est « le » ou « les défunts »). Dans un remake inavoué du polar hong-kongais Infernal affairs (Andrew Lau, Alan Mak, Wai Keung Lau, 2003)*, Martin Scorsese reprend un de ses thèmes de prédilection, la pègre américaine à la sauce communautaire, non pas italienne comme dans Les affranchis (1990) mais irlandaise comme dans Gangs of New York (2003) et réalise là un divertissement réussi.
Les infiltrés n’a pas de prétentions historiques comme peut en avoir Gangs of New York ou même Casino (1995). Scorsese présente simplement mais avec une grande rigueur un récit redoutablement efficace. A Boston, Colin Sullivan (Matt Damon), qui a été discrètement élevé par le parrain local Frank Costello (Jack Nicholson), devient flic et continue à le servir comme taupe. De la même génération que Sullivan, Billy Costigan (Leonardo DiCaprio) a grandi dans une famille de criminels et devient aussi flic. Son profil intéresse ses patrons Queenan (Martin Sheen) et Dignam (Mark Wahlberg) qui lui proposent aussitôt de renoncer à son identité, d’intégrer la bande de criminels dirigée par Costello et de servir de taupe. Dès les premières séquences, le thème du double apparaît et Les infiltrés acquiert ainsi quelque affinité, aussi par le truchement d’Infernal affairs, avec Volte/Face du Chinois John Woo (1997). Dans le scénario utilisé par Scorsese, les deux trentenaires cherchent à faire leur trou (ils le feront d’ailleurs d’une certaine manière) et poursuivent une réussite sociale et amoureuse, même boulot, même femme (Vera Farmiga). L’un, Sullivan, avec son appartement et ses costumes, a plutôt l’allure du cadre dynamique, le second, Billy, avec sa casquette de baseball vissée sur la tête, reste animal sauvage. Le premier, heureux de sa situation, se croît renard dans un poulailler, le second, flippé et sous médocs, est un rat planqué parmi les loups. Sorties de leurs trous, les deux taupes se retrouvent en plein air sur le toit d’une immeuble lors d’une rencontre fracassante.
Des premiers aux seconds rôles, les acteurs servent le récit avec excellence. Je n’ai jamais vu DiCaprio si convaincant, Marc Wahlberg étonne par sa façon de débiter des répliques d’une vulgarité à peine croyable, et Jack Nicholson compose un diable magnifique et trônant (« non serviam » est sa devise). Un plan souligne ce caractère diabolique : au théâtre, dominant sur son balcon, dans le rouge des projecteurs, il est encadré de deux femmes très lascives et s’impose de toute sa carrure. Ce plan est un peu à part car la mise en scène reste le plus souvent froide et directe. L’histoire est dense et le film assez long (2h30), pourtant le rythme est soutenu. Les plans s’enchaînent vite et la musique rock (voire hard rock avec un titre de Dropkick Murphys) accompagne la plupart des séquences (peut-être Comfortably numb des Pink Floyd est-elle toutefois de trop durant la scène d’amour). N’oublions pas l’important attachement du réalisateur pour la musique : New York, New York (1977), The last waltz (1978), Shine a light (2008)… Le rythme est également amené, ce qui n’est pas non plus nouveau chez Scorsese, par l’utilisation fréquente du montage alterné. Enfin, la pègre irlandaise n’a rien à envier question méthode à d’autres mafias et la violence est de mise durant tout le film : les corps sont troués et frappés là où ça fait mal, voire, pour celui d’un flic, jeté du haut d’un immeuble et écrasé sur le bitume. Plaire pour son choix de scénario, son casting et son art de la narration n’est pas donné à tous et même si, dans le genre policier, quelques talents se hissent à sa hauteur (Michael Mann avec Miami vice en 2006, James Gray avec La nuit nous appartient en 2007…), Scorsese reste un maître.
* Adrien Gombeaud, « Deux films infiltrés, Infernal Affairs / Les Infiltrés », dans Positif, n°567, Mai 2008, p. 93.
Attirer l’œil, décevoir l’esprit. Matthieu Santelli, dans Critikat, fait le point sur la réappropriation américaine de l’original hong-kongais, ce dernier vidé de sa substance et transformé en un emballage luxueux propre à contenter le jury de la cérémonie des Oscars (les récompenses obtenues : « meilleur film », « meilleur réalisateur », « meilleur scénario adapté » et « meilleur montage »).