Passionnant documentaire, d’une clarté toute scientifique ; quoique portant sur un sujet qui, lui, est loin de l’être, clair !
Car, autant le temps apparait à notre ressenti immédiat comme une évidence, un des grands fondamentaux de l’univers et de nos vies, autant il apparait, au contraire, pour la physique, comme un sujet de perplexité, d’interrogation.
Le présentateur de l’émission, un physicien américain du nom de Brian GREEN, nous bombarde, dès son début, de phrases toutes plus dérangeantes, toutes plus déstabilisantes les unes que les autres : « l’espace et le temps existent-ils ? » ; « pourquoi ne voit-on jamais se dérouler les évènements à l’envers », lorsqu’on sait que « selon les lois de la physique, c’est tout à fait possible » ?; « le vide » étant « le siège d’une activité intense, notre Univers n’est peut-être pas le seul » ; « notre perception de l’univers est fausse : le temps n’est pas ce qu’il parait ; il n’y a peut-être pas de distinction entre le passé, le présent et le futur » ; « cette perspective révolutionnaire ouvre sur une multitude de possibles ».
Interrogeons-nous donc sur la notion de temps, sur le Temps lui-même… « Quelle est l’histoire du Temps ? ». Que savons-nous exactement de lui, au plan scientifique ?
Eh bien, tout d’abord (ceci va vous sembler une lapalissade), « le temps semble perpétuellement s’écouler d’un moment à l’autre » et ce toujours dans une seule et même direction : la direction du futur.
Or, il se peut, nous détrompe Green, qu’ « il ne s’écoule pas du tout ».
La physique a montré qu’il pouvait « accélérer », comme « ralentir ».
Dans son essence, notre passé n’est peut-être pas révolu et – toujours dans son essence – notre futur a peut-être déjà eu lieu.
Mieux (ou pire) encore : « les évènements peuvent se dérouler à l’envers ».
Extravagant, me direz-vous ?
Eh bien non, car, en matière de temps, les savants avouent un embarras certain.
« Le Temps, nous assène l’un, c’est la question banco de la physique ! »
« Il n’y a aucun aspect du temps que nous comprenions vraiment », renchérit l’autre.
Un troisième s’empresse de faire écho, en commentant : « on ne peut pas le cerner ». Et un quatrième, en guise de définition – plutôt timide – se contente d’énoncer « le Temps est momentané ».
Tout cela parait plutôt maigre…
Pourtant, la mesure du temps bénéficie d’ « une précision croissante ». Mais d’où vient-elle ?
Initialement, nous révèle Brian Green, « la première horloge » a été « la Terre en rotation ».
Par la suite, « le balancement d’un pendule » a permis de « diviser le Temps, en minutes, puis en secondes ».
Plus tard encore, on se fia à « la mesure de la vibration d’un cristal de quartz » et cela permit d’améliorer considérablement la précision de la mesure.
A présent, à cette heure même où Brian Green nous parle, on en est à « la mesure de la vibration d’un ATOME DE CESIUM », grâce à laquelle on atteint une précision jamais encore égalée.
En fait, « tout ce qui vibre et a un mouvement répétitif peut servir d’horloge », pour la bonne raison que le Temps « n’est qu’un processus répétitif ».
Sommes-nous, pour autant, plus avancés dans notre compréhension du phénomène ?
Non, car si, en effet, nous mesurons à tire-larigot, nous ignorons la nature exacte de ce qui fait l’objet de ces mesures. N’est-ce pas le comble ?
Eh oui, répétons-le, le temps, qui « gouverne notre vie », « reste un mystère » !
Le temps, en tant que flux, n’existe, en fait, qu’en fonction de notre « expérience ».
Nous n’avons conscience du passé que parce que nous avons des souvenirs. De même, nous ne sommes conscients de notre avenir que parce que nous formons des projets, parce que nous anticipons.
Est-ce à dire que le temps, en tant qu’absolu, que référent suprême, est dénué d’existence ?
L’ « Histoire du temps » doit beaucoup à celle du « développement du chemin de fer ». Aussi inimaginable que cela puisse, aujourd’hui, nous paraitre, les tout premiers trains « adoptaient l’heure de la ville où ils commençaient leur trajet ». On imagine que, très vite, cet état de fait déclencha une grande confusion, car, plus les lignes de chemin de fer devenaient nombreuses et étendues, plus elles affichaient « de plus en plus d’heures différentes ». De sorte qu’on se trouva confronté de façon urgente à « la nécessité de coordonner les horloges ».
Mais cela tombait bien, car, au même moment, un certain Albert EINSTEIN était embauché au BUREAU DES BREVETS DE BERNE (Suisse) et se mit à chercher divers moyens de synchroniser les horloges. Rapidement, il se prit au jeu, et le Temps, dans son essence, se mit à l’intriguer, puis à le passionner. « L’histoire moderne du temps » était, de la sorte, en train de naitre…
Avant Einstein régnait en maîtresse la conception du Temps due à Isaac NEWTON, selon laquelle « le Temps est une propriété immuable », caractérisée par un écoulement « toujours au même rythme » (rendu par les horloges).
Mais Einstein allait révolutionner cette vision du temps classique, et en accord avec le sens commun. Toute autre est sa vision, qui veut que « le temps s’écoule à différents rythmes ».
Einstein n’hésite pas à jeter un véritable pavé dans la mare de la physique – et même de la philosophie – en soutenant et en démontrant qu’il n’y a pas « le Temps », mais « des temps », ce qui revient à dire que le temps est « une expérience individuelle » !
Au surplus, il existe une « communion cachée entre l’espace et le Temps », sous l’espèce d’ « un lien profond entre le mouvement dans l’espace et l’écoulement temporel ».
Essayons de comprendre…
« Le temps ne s’écoule pas de la même manière pour tout le monde ». En effet – et c’est là « la découverte majeure » du « Grand Albert » - « le MOUVEMENT dans l’espace affecte l’écoulement du temps ». Il suffit que je bouge et le Temps s’écoulera avec plus de lenteur, tant pour moi que pour la personne qui me regardera bouger.
Sur Terre, un tel phénomène, certes, n’aura qu’un « impact infime », si infime que, communément, nous ne le percevons même pas. Pourtant si – comme cela a été fait en 1971 – on embarque une horloge atomique à bord d’un avion et on fait voler ce dernier, on constate que l’horloge qu’il porte n’affichera pas tout à fait la même heure que celle qu’affiche simultanément « une horloge restée au sol ». Ces deux horloges subissent une « désynchronisation minime ».
Cela veut dire que « l’espace et le temps ne peuvent plus être considérés comme deux choses distinctes ». Le lien qui les unit, démasqué par les savants calculs d’Albert Einstein, a amené celui-ci à les unifier en « un espace-temps à quatre dimensions » !
De ce fait, la différence entre le passé, le présent et le futur ne peut être vraiment réelle. Elle devient, à ce compte-là, bien plutôt, une perception illusoire.
A y bien regarder, le temps, c’est « une succession de moments, d’instantanés ». Ou encore, « le déploiement d’un moment, puis d’un autre, puis d’un autre », et ainsi de suite…
Einstein ayant réfuté notre conception habituelle qui voulait qu’il existât un passé, un présent et un futur, nous ne pouvons plus, à présent, nous référer qu’à la notion de « MAINTENANT ».
« Maintenant », pour la physique, c’est ce qui « englobe plusieurs évènements simultanés »
Qu’est-ce à dire ? Qu’ « on peut les aligner sur une même tranche d’espace-temps ».
La physique a forgé sa représentation de l’espace-temps sous la forme d’une immense « miche de pain constituées de tranches de « maintenant » » et englobant « tous les évènements dans le temps et tous les emplacements dans l’espace ». En suivant toujours son raisonnement (c'est-à-dire celui d’Albert Einstein), « une tranche de « maintenant » est modifiée par le mouvement », cependant que, « si l’on ne bouge pas, les tranches seront découpées perpendiculairement à la miche ». Le mouvement a pour effet, au contraire, de « dévier le couteau » trancheur soit vers le passé, soit en direction du futur, en fonction de la direction prise et de la position de départ de ceux qui sont en mouvement. C’est cela, la relativité.
Tout ceci a pour résultat que « le passé et le futur sont tout aussi réels que le moment présent ». Non seulement « le futur n’est pas [comme nous le croyons] non-existant », mais encore « le passé n’a pas disparu ». Mettons-nous bien dans le crâne que « TOUT CE QUI EST ARRIVE ET TOUT CE QUI ARRIVERA UN JOUR EXISTE » !
Telle est la « proposition », pour le moins « audacieuse », d’Albert Einstein.
Alors ? « La différence entre le passé, le présent et le futur » ne serait-elle qu’ « une illusion persistante » de l’ordre du ressenti, de la pure « subjectivité » ? Voilà qui nous ferait presque penser à la notion hindoue de Maya…
Qui sait si, s’interroge, toujours aussi sérieusement, le sympathique Brian Green, le temps, dans la réalité suprême, n’est pas une entité totalement dénuée d’écoulement, une sorte de « fleuve gelé » dans lequel, en définitive, tous les moments s’équivalent ? Qui sait s’il n’est pas tout entier contenu dans le présent, siège unique de « notre expérience » ?
La physique, en tout cas, nous fait, de manière de plus en plus insistante, entredeviner que « le Temps est contenu tout entier quelque part ».
Le temps pourrait bien être, en réalité, un éternel présent que nous seuls, êtres vivants, vivrions comme un écoulement très mobile. La physique fait, décidément, à notre expérience, à notre vécu « naturel » du temps, une bien grande violence !
Et le « voyage dans le temps », dans tout ça ?
Brian Green nous répond, sourire aux lèvres, que cela est « peut-être possible ». Mais, ajoute-t-il « il faudrait avoir recours à la GRAVITE ».
Tout comme le mouvement, la gravité possède la propriété étrange de ralentir le passage du temps. « Plus l’attraction gravitationnelle est forte, plus le temps ralentit ». Vous voulez un exemple simple et pas trop exotique ? Bien. Prenez les divers étages d’un gratte-ciel. Il a été constaté, par des mesures, qu’au rez-de-chaussée de ce type de construction, le temps est légèrement plus lent qu’il ne l’est dans leurs « derniers étages ». Ceci pour une raison fort simple : le rez-de-chaussée est tout près du sol, et subit, de ce fait, plus fortement l’attraction gravitationnelle terrestre.
Alors, que dire du voisinage d’un TROU NOIR, corps céleste qui possède « un champs gravitationnel intense » ?
S’approcher d’un trou noir de taille suffisante, et à la bonne distance, nous ferait « voyager dans le futur de la Terre ». Une fois revenus sur cette dernière, nous constaterions, avec stupeur, que nous avons gagné du temps, ce qui veut dire vieilli beaucoup moins vite que les gens demeurés sur le sol de la bonne vieille planète bleue. Une animation nous montre ainsi Brian Green revenant d’un voyage aux abords d’un trou noir et retrouvant, sur terre, une jeune femme qu’il connaissait nantie de cinquante bonnes années de plus, alors même que lui-même n’a pas pris une ride !
Et en ce qui concerne le passé ? Là, répond le physicien, il faudrait que nous en passions par les TROUS DE VER.
Mais encore ? Les trous de ver, prédits par certaines théories de la physique contemporaine seraient (s’ils existent) « des tunnels reliant [dans notre Univers] un endroit à un autre, et un moment à un autre », en somme des sortes de raccourcis spatio-temporels, qu’il suffirait de traverser...
Tout ceci nous semble constituer de (merveilleux) défis au bon sens. Cependant, celui-ci continue, tout de même, dans une certaine mesure, d’avoir son mot à dire. Le passé ? Tout voyage dedans impliquerait la possibilité de le modifier. Or, étant donné qu’il est « déjà arrivé », l’on peut, à bon droit, se demander si c’est envisageable. Et puis, « pourquoi ne sommes-nous pas envahis de touristes venant du futur ? ».
Reste que l’hypothèse d’un tel voyage « n’est pas mathématiquement exclue ». Pour qu’elle le soit, il faudrait que les physiciens réussissent à prouver qu’elle est de l’ordre de l’impossible, ce qui est loin d’être le cas.
Une autre donnée est tout sauf évidente pour ces malheureux physiciens : « le déplacement du temps vers le futur », encore appelé « FLÊCHE DU TEMPS ». C’est, affirme l’un d’entre eux, « une dimension unidirectionnelle qui nous échappe ». Une autre vient à la rescousse en certifiant « nous ne la comprenons pas ».
L’incroyable raison en est que « les lois de la physique, ses équations n’interdisent aucunement le temps à l’envers ». Parce qu’indifféremment « les équations fonctionnent qu’on avance dans le temps ou qu’on recule » !
Donc, l’inversion du temps est « tout à fait possible selon les lois de la physique ».
Exemple : un verre à vin se brise en mille morceaux sur une table. L’esprit d’un physicien peut parfaitement concevoir que ledit verre arrive, ensuite, à se reconstituer tout entier, par un processus inverse. Il suffirait, pour cela, nous assure Green le plus naturellement du monde, d’ « inverser la vitesse de tous ses constituants » matériels, c’est à dire de chaque éclat de verre et de la moindre minuscule gouttelette de vin.
Alors ? Qu’est-ce qui fait que, dans notre Univers, en pratique, nous ne voyions jamais se concrétiser pareil prodige ?
Brian Green, soudain, nous entraîne dans un sombre cimetière autrichien, sur la tombe d’un certain Ludwig BOLTZMANN. Au fronton de la pierre tombale, juste au-dessus du nom du défunt, il pointe du doigt une autre écriture, qui celle-là est mathématique : celle d’une équation de thermodynamique, S = k log W. Cette équation, nous explique-t-il, est « l’équation de l’ENTROPIE ».
L’entropie est une donnée de thermodynamique qui a pour synonymes « désordre, hasard ». Si elle est si importante, c’est parce que, dans l’univers, on constate « une tendance générale à l’évolution de l’ordre vers le désordre ». On constate également que « l’entropie augmente au fil du temps ».
« Les états ordonnés évoluent vers le désordre dans une direction donnée » : « c’est peut-être ça, la réponse ! ».
Ainsi, le Temps ne serait pas autre chose que le résultat de la tendance qui existe, dans la nature, à une évolution de l’ordre vers le désordre (et non l’inverse).
Reste à déterminer pourquoi cette évolution se fait toujours dans le même sens alors même que l’entropie, si l’on suivait, aux dires des physiciens, la stricte logique, « devrait opérer dans les deux sens ».
Pourquoi l’Univers tend-t-il aussi exclusivement au désordre ?
On commence (peut-être) à entrevoir ce qui pourrait bien être une réponse dans ce que la théorie du chaos appelle « la sensibilité aux conditions initiales ».
Les conditions initiales, ce sont les CONDITIONS DE DEPART…ce qui, dans le cas qui nous occupe, nous ramène au BIG BANG.
Or, les physiciens voient en ce dernier un évènement « de basse entropie », voire même « l’évènement le plus ordonné de la physique ».
Pensif, l’un d’entre eux évoque cet « état d’ordre tout à fait inhabituel » en butant, là encore, sur un « on ne sait pas pourquoi » plein de perplexité.
Quoi qu’il en soit, cependant, « le Big bang est/était un état très ordonné » et « l’Univers a commencé, sans nul doute, à un moment où l’entropie était basse ». Ce faisant, il n’a pu qu’aller, en une sorte d’élan, vers « un désordre croissant ». Son orientation a été fixée par son état de départ.
« Le désordre de l’Univers » serait, à ce compte-là, « une grande vague » sur laquelle nous « surferions » comme une simple écume des choses…
Eh oui, il n’y a rien à y faire ! Ce d’autant qu’ « aujourd’hui, l’Univers continue de s’étendre ».
« Nous le savions, précisent les scientifiques, en expansion, mais on pensait que cette expansion ralentissait ». Faux ! On s’est aperçu, assez récemment que, bien au contraire, « elle accélère ».
L’Univers, de plus en plus, ressemble à une voiture lancée à fond de train, et – nous dit-on – cet état de fait aura des « répercussions étranges ». Lesquelles ?
Pour faire court, disons seulement que « d’ici cent milliards d’années, on ne verra plus les autres galaxies », ce qui signifie qu’on n’aura « plus aucun point repère », étant donné que « le passé sera hors de portée » ( quand nous regardons, à l’heure qu’il est, les étoiles de la voûte céleste, nous ne les voyons, en fait, pas telles qu’elles sont actuellement, mais telles qu’elles étaient dans un passé plus ou moins proche ; elles appartiennent donc au passé, puisque l’espace, c’est du temps, et vice-versa). Et, à la « fin des temps », l’espace se sera complètement vidé. Les trous noirs finiront par se retrouver tout seuls…jusqu’à la toute dernière étape prévue par les astrophysiciens, celle où « il n’y aura plus que des particules isolées dérivant dans l’espace » et, par conséquent, où il n’y aura plus de changements, d’évènements. L’évolution sera parvenue à sa phase ultime ; elle s’arrêtera. Ce qui voudra dire que « le temps perdra sa signification ».
Le temps est donc intimement lié au changement, à la succession des évènements.
Mais, comme nous venons de le découvrir, il possède des aspects multiples.
Nous vivons décidément dans une réalité bien « complexe ». Et bien difficile à saisir, pour ne pas dire…vertigineuse !
P. Laranco