La proposition socialiste de supprimer les dépassements d’honoraires aura pour conséquence de grossir le mouvement des pigeons qui préfèrent l’envol vers des cieux plus accueillants.
Par Alphonse Crespo.
Avant l’intrusion de l’État dans le domaine des soins et de la santé, le médecin était fondamentalement un professionnel indépendant au service du malade. Il était rétribué directement par son patient ou par les proches de ce dernier. Son code de déontologie impliquait des devoirs de diligence et d’équité qui touchaient également l’établissement de ses honoraires. Il adaptait ces derniers aux possibilités du patient. Le médecin se faisait un point d’honneur d’y renoncer lorsque son patient n’avait pas les moyens de payer. En contrepartie il n’hésitait pas à demander des honoraires plus élevés à ses clients nobles ou influents. Sur le plan strictement économique, le montant des honoraires médicaux reflétait ainsi de façon étroite les possibilités du marché. Ce régime assurait au bon médecin une clientèle variée, un niveau de vie correct et la satisfaction d’exercer une profession respectable. La fibre altruiste de la profession médicale et la valorisation qui l’accompagnait constituait en outre un appel puissant aux vocations médicales assurant ainsi la relève professionnelle d’une génération à l’autre. A contrario la dévalorisation de la profession qui marque le débat politique actuel décourage les vocations et ouvre le champ à une pénurie de médecins.
Le mode de rétribution du médecin « libéral » dans nos régimes de sécurité sociale répond à une logique dirigiste héritée du 19e siècle. Il dépend de conventions tarifaires le plus souvent déconnectées des mécanismes de marché. Les ressources allouées aux “prestataires de soins” sont les premières touchées par les mesures de rationnement qui nivellent tôt ou tard vers le bas tout système collectiviste. Les modèles Bismarckiens qui dominent actuellement la topographie institutionnelle de la santé, accordent une autonomie de façade au secteur libéral. La rétribution des actes médicaux résulte le plus souvent de conventions tarifaires négociées par les représentants du corps médical, des cartels d’assureurs et l’État. Les montants attribués à une prestation particulière sont souvent décalés de son coût réel pour le médecin (en temps, en matériel technique ou en frais généraux) ou de sa valeur effective pour le malade (une expertise est souvent mieux rétribuée qu’un acte chirurgical).
La possibilité de dépassement de l’honoraire de base, offerte dans le secteur public français aux médecins conventionnés ne compense que très partiellement la charge de travail et les lourdes responsabilités inhérentes au service médical aussi bien dans le domaine hospitalier qu’en pratique générale. En France et à fonction professionnelle équivalente les revenus nets des médecins sont inférieurs d’au moins 25% (pour les médecins cadres) à plus de 50% (pour certains postes d’internat) à ceux en vigueur en Suisse voisine. L’exode de médecins français vers la Suisse a d’ailleurs déjà commencé et permettra à l’Helvétie de pallier une pénurie latente de médecins formés.
La proposition socialiste de supprimer les dépassements d’honoraires aura plusieurs conséquences d’ores et déjà prévisibles : elle ajoutera tout d’abord une nouvelle catégorie au puissant mouvement de pigeons entrepreneurs et créateurs qui préfèrent l’envol vers des cieux plus accueillants plutôt que d’être la cible de tirs aux pigeons orchestrés par les chantres d’une idéologie confiscatoire dépassée.
Paradoxalement le plafonnement des honoraires proposé par les socialistes anti-libéraux, renforcera la médecine libérale en France. On peut en effet s’attendre à ce qu’une majorité de médecins hospitaliers et spécialistes universitaires choisissent d’abandonner le secteur public pour rejoindre le secteur privé non conventionné. Libérés du joug de conventions réductrices et de bureaucraties chronophages, les médecins retrouveront la liberté perdue d’adapter leurs honoraires aux possibilités de leur patient, devenu leur seul véritable patron. Les cliniques privées pourront élargir la gamme et la qualité de leurs prestations. Le secteur public devra quant à lui apprendre à fonctionner sans médecins dignes de ce nom.