Extrait du site de Marc Riboud, à visiter, absolument !
Marc Riboud, voyageur magnifique
par Annick Cojean, journaliste au Monde
Cet homme est libre. Cet homme est passionné. C'est un voyageur magnifique que le monde continue d'étonner.
Cet homme est libre.
Parce qu'il sait se perdre sur les chemins du monde, sans jamais
s'égarer dans les méandres de l'Histoire. Parce qu'il aime l'aventure,
adore la fantaisie, recherche l'imprévisible, mais garde ses distances
avec les événements, son libre arbitre dans les débats d'idées, une
belle indépendance devant les idéologies. Cet homme d'image est un homme
de culture qui, dans son sac de photographe, a toujours plusieurs
livres. Et sur sa table de travail, à portée de main, quelques belles
citations.
Cet homme est libre. Il
aime et il photographie intensément la vie. Il ne cherche pas d'effet.
Il ne prend pas la pose. Quand on lui demande de commenter l'une de ses
photos, le voilà qui hésite, pudique, embarrassé. Ses longs doigts
approchent alors l'image, indiquent des lignes, effleurent une courbe,
s'attardent sur un détail. Et puis non, décidément, on se passera de
mots. Ils seraient malhabiles. L'œil seul fera son chemin.
Il y a différentes
façons de voir. J'ai la mienne. Pour moi, regarder et photographier une
scène de rue ou un paysage de brume est un peu comme écouter de la
musique. Cela m'aide à vivre. Après cinquante ans, ai-je changé ma façon
de voir ? Je ne le crois pas. On change rarement. Je photographie des
choses différentes de la même façon. Quand on me demande quelle est ma
meilleure photo, je réponds : J'espère la faire demain, et j'essaierai
de changer ma façon de voir. En vain. Les jeunes photographes innovent,
je les admire.
Pour moi, la
photographie n'est pas un processus intellectuel, c'est un processus
visuel. L'œil est fait pour voir et non pas pour penser. J'aime la
définition que Walker Evans donne du photographe : un joyeux sensuel
parce que l'œil manipule les sens et non les idées. Ce que je cherche
est dans la vie, dans la réalité. La création pure, je n'y crois pas
trop.
Mon obsession:
photographier le plus intensément possible la vie la plus intense. C'est
une manie, un virus aussi fort pour moi que le réflexe d'indépendance.
Et si le goût de la vie diminue, les photos pâlissent parce que
photographier, c'est savourer la vie au 1/ 125 de seconde."
Marc Riboud