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Il y a quelque chose de navrant à voir la flamme olympique traverser l'Europe sous escorte policière. Ravalé au rang de vulgaire allume-gaz, le flambeau, censé symboliser les idéaux ranimés par Coubertin en 1894, perd singulièrement de sa superbe. Survolé par un hélicoptère jusque sur l'Acropole à Athènes, encadré par les pandores en uniformes ou en civil, il montre combien le CIO et son président Jacques Rogge se sont fourvoyés en pensant refaire le coup de Berlin 1936 sans que personne ne bronche.
C'est d'ailleurs dans l'Allemagne d'Adolf Hitler, arrivé au pouvoir trois ans plus tôt, qu'est né le cérémonial de la flamme. Il faut dire que depuis Nüremberg, les nazis s'y connaissaient en matière de retraites aux flambeaux. L'idée en revient au professeur Karl Diem. Il ne fait que remettre au goût du jour l'allumage de la flamme sacrée à Olympie dans la Grèce antique en la prolongeant d'un relais de plus de 3000 athlètes, qui en 1936 l'emmènent jusqu'à Berlin. Moyennant quoi, c'est le champion de demi-fond Erik Schilgen (photo ci-dessus, L'Illustration de mai 1938) qui a alors l'honneur d'allumer la vasque du Reichsportstadion devant le chancelier Hitler.
Drôle d'acte de naissance, mais après tout pourquoi pas. L'olympisme moderne a toujours cherché dans le décorum à revendiquer sa filiation avec son modèle antique. Les dictateurs s'y connaissant comme pas un pour détourner les symboles à leur profit, les JO ne sauraient en être tenus pour responsables. Ceux qui le sont en revanche, ce sont les dirigeants sportifs qui leur font ce divin cadeau. Jacques Rogge et ceux qui ont donné les Jeux de 2008 à la dictature chinoise sont d'autant moins excusables que le précédent berlinois aurait dû leur donner matière à réfléchir. Un exemple : cet extrait d'une circulaire secrète de 1936, reproduite dans le très complet 100 ans de Jeux olympiques écrit en 1996 par Henri Charpentier et Euloge Boissonnade. Transmise à tous les services de police du régime nazi, elle évalue la réussite des Jeux et les moyens de l'assurer en des termes que ne renieraient pas aujourd'hui les dirigeants de Pékin…
"Un déroulement grandiose et sans incident des Jeux olympiques de 1936 à Berlin est de la plus haute importance pour l'image de la nouvelle Allemagne aux yeux de tous les hôtes étrangers. Les Jeux olympiques doivent être un témoignage unanime de la volonté de paix et de l'hospitalité allemande, et ils doivent montrer aux visiteurs étrangers l'ordre et la discipline de l'Etat national-socialiste. (…) Les rafles doivent être évitées dès à présent, ainsi que les grands convois publics de prisonniers avant et pendant l'Olympiade. En outre, il ne faut en aucun cas éveiller chez les hôtes étrangers l'impression d'une surveillance policière."
En résumé, rien de bien neuf sous le soleil d'Olympie…