Wallace Stevens – Dernier soliloque de l’amante intérieure (Final Soliloquy of the Interior Paramour, 1954)

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Allume la première lumière du soir, comme dans une chambre
Où nous nous reposons et sans trop de raison, pensons
Que le monde imaginé est le bien ultime.

Voici, donc, le plus intense des rendez-vous.
C’est dans cette pensée que nous nous recueillons,
Hors de toutes les indifférences, en une chose :

Dans une seule chose, un seul châle
Enroulé étroitement autour de nous, puisque nous sommes pauvres, une chaleur,
Une lumière, un pouvoir, l’influence miraculeuse.

Ici, maintenant, nous nous oublions l’un l’autre et nous-mêmes.
Nous sentons l’obscurité d’un ordre, un tout,
Une connaissance, ce qui a fixé le rendez-vous,

À l’intérieur de ses frontières vitales, dans l’esprit.
Nous disons Dieu et l’imagination sont un…
Comme elle est haute cette très haute bougie qui éclaire le noir.

Hors de cette même lumière, hors de l’esprit central,
Nous bâtissons une demeure dans l’air du soir,
Où être là ensemble est suffisant.

*

Light the first light of evening, as in a room
In which we rest and, for small reason, think
The world imagined is the ultimate good.

This is, therefore, the intensest rendezvous.
It is in that thought that we collect ourselves,
Out of all the indifferences, into one thing:

Within a single thing, a single shawl
Wrapped tightly round us, since we are poor, a warmth,
A light, a power, the miraculous influence.

Here, now, we forget each other and ourselves.
We feel the obscurity of an order, a whole,
A knowledge, that which arranged the rendezvous.

Within its vital boundary, in the mind.
We say God and the imagination are one…
How high that highest candle lights the dark.

Out of this same light, out of the central mind,
We make a dwelling in the evening air,
In which being there together is enough.

***

Wallace Stevens (1879-1955)Collected Poems (1954)