La morale à l'école prônée par Vincent Peillon relève d'un embrigadement en substituant des cours de catéchisme laïc au catéchisme classique.
Par François-Xavier Faucounau.
L’idée d’un enseignement de morale laïque prôné par le ministère de l’Éducation nationale est un non sens et un danger. Un non-sens, parce que la morale ne peut être enseignée et qu’ajouter l’adjectif « laïque » à ce mot est absurde. Un danger, car il peut constituer un embrigadement, un formatage.
Ces conclusions sont les conséquences du raisonnement qui suit.
Tentons de définir ce qu’est la morale. Il est difficile d’exclure la pensée de Kant de la question, qui dans un souci de définition réduit la morale à l’extrême, au risque de la rendre irréelle. Nous retiendrons donc simplement sa conclusion. L’impossibilité de juger qu’un comportement est moral chez un autre que soi. Comment dès lors donner un exemple de comportement moral ? Et sans exemple comment enseigner une matière aussi abstraite ?
En élargissant la définition de la morale à l’ensemble des règles directrices, ou des maximes, qui doivent encadrer le comportement d’un individu, elle revient à être une ligne de conduite sociale et individuelle. On pourrait dire que la morale est un cadre psychologique à nos choix, nous poussant normalement à faire le bien. Face à un problème simple, tout va bien. Quelqu’un tue un autre, voilà un crime, l’acte immoral par excellence. Injonction évidente, « Tu ne tueras point ! ». Mais alors pourrait dire l’enfant, pourquoi la peine de mort existe-t-elle ? Ou si elle a été abolie, pourquoi la société autorise la guerre dont l’essence même est immorale et donc mauvaise ? J’imagine déjà l’embarras du professeur ; comment expliquer que dans certains cas la morale élémentaire ne s’impose pas.
Autre exemple, un classique lorsqu’il est propos de morale. Il faut imaginer la situation suivante. Un homme est pourchassé par la police pour avoir commis un crime (par exemple un collaborateur sous l’occupation est recherché par les FFI à la libération). Bien que désapprouvant son acte, cet homme vous demande de le cacher. N’est-ce point un devoir moral, au nom de la compassion, au nom de l’amitié (si c’est un ami) et d’une charité humaine de l’héberger, de le protéger d’une condamnation à mort certaine ? Et pourtant vous vous opposez dès lors à la justice, à la réparation du dommage, ce qui a aussi un aspect moral. Faut-il le livrer (ou le convaincre de se livrer ce qui revient au même) ou le protéger et mentir ? Ce choix aucun enseignement, aucune morale ne peut le résoudre. Des valeurs s’opposent et les hiérarchiser réduirait leurs forces, mènerait au relatif. Pourquoi privilégier celle-là et non celle-ci ? Personne ne peut le dire, sinon l’individu qui doit faire ce choix à la fois moral et immoral, bon et mauvais, quitte à en assumer la responsabilité. Aucun conseil, aucun secours, aucun enseignement enfin, ne peut être une aide. Il n’y a que le devoir de choisir entre deux solutions dont pas une n’est satisfaisante.
On pourrait me rétorquer : « Voilà pourquoi il faut instruire et transmettre une morale (laïque) ! Pour pousser vers le choix de la justice, qui est favorable à la stabilité de la société. » Et pour cela, il faudrait qu’un homme vende son frère comme Juda. Argumenter dans le sens de la justice est raisonnable, mais cela n’a rien de moral ; c’est un choix politique. Sans justice, et le respect et la soumission qui lui sont dus, il n’y aurait pas de société.
À ce stade, on perçoit déjà les premières limites de l’idée du gouvernement. Dans l’éventualité où la morale puisse être enseignée, seul un « saint », un être parfaitement moral, pourrait le faire. Étant donné qu’il est impossible d’identifier de tels individus (cf. Kant), nous sommes donc en l’absence de professeurs. En effet, comment persuader que des préceptes sont bons si l’homme qui les préconise ne les respecte pas totalement.
Qui peut enseigner la morale ? Réponse : personne. La morale est-elle matière à enseignement ? La réponse est encore une fois négative, car l’inverse reviendrait à faire de l’homme une machine qui appliquerait des solutions enseignées à des problèmes insolubles. Cela reviendrait à nier la responsabilité individuelle, à nier même la conscience humaine.
Cette impossibilité mènerait tout droit à des dérives, ce ne serait plus la morale que l’on enseignerait mais au mieux le respect profond de toutes les institutions démocratiques et républicaines ; ceci serait une bonne chose mais s’appelle embrigadement. L’adhésion au système n’est alors pas gagnée, elle est inculquée.
Il faut maintenant traiter du qualificatif de « laïque ». Ou on entend par cet adjectif une morale areligieuse, ou une morale antireligieuse. La contradiction saute aux yeux, car ce qui est morale est nécessairement religieux. La quête de la vérité fonde chacune des religions et cette quête n’a d’autre but que le respect d’une morale, de par le comportement qu’il nous faut adopter. La morale laïque n’en est donc pas une. Elle cache derrière le mot « laïque » une autre religion. La thèse de monsieur Peillon ne portait-elle pas sur le fond religieux de la morale laïque de Ferdinand Buisson ? En voulant sortir les religions de l’école, nos prédicateurs laïcs prêchent aussi pour leur paroisse, mais leur église ne s’assume pas.
L’enseignement possible et souhaitable ne porte pas sur la morale, mais sur la recherche de la vérité et du bien. Une telle matière devrait faire appel à toutes les religions et à la philosophie. Susciter le questionnement et l’interrogation tout en maintenant le libre arbitre, voilà quel pourrait être le but d’un « enseignement moral ». Il ne s’agit plus de faire avaler une morale prémâchée et substituer des cours de catéchisme laïc au catéchisme classique, mais de pousser l’individu à la recherche du bien.
Les phrases de Gandhi qui closent mon propos, me semblent assez bien le résumer.
Pourtant aucune institution ne peut rendre la non violence [la morale] obligatoire. Pas plus qu’il n’est possible de consigner les principes de la vérité dans une constitution écrite. C’est à chacun de les adopter en toute liberté. Ils doivent nous aller comme des vêtements sur mesure, sous peine de contradiction sans fin. (Mahatma Gandhi, the last phase, vol. 2, p 124-125)