Il y a des disques qui se laissent désirer. Pas de manière dramatique et sans réelle impatience. C’est une autre forme d’attente, plus inégale et plus insoupçonnée : le souvenir revient de temps en temps dans les mémoires, ces disques en puissance font surface ponctuellement comme autant de promesses jamais accomplies, autant de pâles désirs irrésolus. Le premier disque des Blackfeet Braves faisait partie de la race de ces albums attendus.
Attendus de qui ? Pas grand monde à vrai dire. Une poignée de connaisseurs, toujours les mêmes, qui recherchent et qui creusent les méandres d’internet pour trouver ce qui se fait de meilleur et de plus insoupçonné. Ils se connaissent entre eux et ils s’aiguillent, forment un réseau de pisteurs inlassables et fiers. Il est utile d’être ami avec un ou deux de ces chercheurs d’or car sans eux, inutile de dire que cette chronique n’aurait jamais vu le jour.
La fable commence donc il y a plusieurs mois. Il était une fois un lien bandcamp découvert au hasard où les Blackfeet Braves, groupe presque anonyme de San Diego, dévoilaient une série de démos fascinantes. Tout en cuir et fils dorés, des chansons solaires semblaient se traîner dans la poussière d’arrangements lo-fi, dessinant un garage blanc aux reflets psychédéliques et marbré de blues résigné. Cloud Nine, première piste sur la liste, retenait alors particulièrement l’attention avec sa tristesse de western et la beauté simple de la voix réverbérée. Le reste semblaient encore inachevé, mal mixé et grossier comme le chef-d’œuvre d’une statue en attente d’être sculptée. Rien pourtant pour indiquer si un jour l’objet final verrait le jour.
Il y eut alors de l’attente et le groupe fut même parfois oublié. Et puis la rentrée apporta son lot de bonnes surprises puisque ce premier disque parut. Les longues périodes d’expectatives furent alors entièrement pardonnées : dans la nouvelle version du LP, les chansons semblaient véritablement renaître à la faveur d’une production épurée et équilibrée, sans fausses notes. À l’écoute, des paysages désertiques venaient à l’esprit (jaunes et gris comme ceux de la pochette), partout l’excitation et la résignation semblaient se combiner. C’était un disque déjà sans âge car s’il semblait très moderne dans son discours, il était cependant impossible de le décrire en utilisant un présent de l’indicatif. L’imparfait, avec sa chaleur suspendue, correspondait mieux à la douceur aigre d’une chanson comme Vicious Cycle, par exemple.
La fable ne se clôt pas réellement avec l’avènement de ce tout petit miracle. Elle se termine en fait par une dernière recommandation, ou plutôt une prière. Car si l’attente demande de la reconnaissance et d’être estimée comme un trésor, ce disque n’est pas beau parce qu’il a été attendu et choyé. Il est beau car il a la teneur de ces objets inépuisables. Il doit désormais vivre dans le présent et mérite d’être écouté au-delà du cercle de ses admirateurs. Il faut qu’il soit écouté.
Audio
Tracklist
Blackfeet Braves – Blackfeet Braves (unsigned, 2012)
1. Mystic Rabbit
2. Trippin Like I Do
3. Open Up Your Heart
4. Misery Loves Company
5. Please Let Me Know
6. Dockweiler
7. Oh So Fine
8. Cloud Nine
9. Stranger Lovers
10. Hangin’ Round
11. Vicious Cycle
12. Hugh n’ Dry