Soleil levant : En route vers l'exil
Un roman magnifique beau comme un choeur antique, un roman pluriel où s’entend la voix de centaines de femmes oubliées.
« Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements,mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne »
Début du siècle, sur un bateau des femmes quittent tout, leur pays le Japon, leur famille pour rejoindre San Francisco et épouser un mari japonais dont elles ignorent tout sauf le visage sur une photo qu’elles ne peuvent s’empêcher de regarder encore et encore « C'étaient de beaux jeunes gens aux yeux sombres, à la chevelure touffue, à la peau lisse et sans défaut. »
Toutes espèrent, toutes rêvent et l’arrivée qui devrait être le début d’une aventure, est avant tout une cruelle désillusion. Les maris ne sont ni de riches hommes d’affaires, ni des commerçants prospères mais des paysans pauvres, des journaliers employés sur les plantations de Californie.
C’est une lente descente aux enfers : la violence de l’homme, la rupture avec une culture « Nous savions coudre et cuisiner. Servir le thé, disposer des fleurs et rester assises sans bouger »
La langue inconnue, le rejet de la population locale, les humiliations des maîtres, tout est souffrance.
Elles sont les invisibles et anonymes « Nous portions toutes une étiquette blanche avec un numéro d’identification attachée à notre col ou au revers de notre veste »
Broyées, utilisées, maltraitées, chaque chapitre du livre nous rend un peu de la vie de ces femmes : nuit de noce, accouchement, éducation des enfants…
« Nous repliions nos kimonos pour les ranger dans nos malles, et ne plus les ressortir pendant de longues années»
Récit déroutant dans ses premières lignes, puis envoûtant. Le ton utilisé et surtout l’utilisation rare en littérature du nous transforme ce récit en une sombre incantation. C’est la cohorte de ces femmes qui parle, qui crie, les voix portent toute la douleur de ces destins massacrés en toute légitimité, en toute impunité.
C’est déchirant et tendre, brutal et révoltant. Il y a de l’admiration pour ces femmes de la part de l’auteur, de la révolte aussi bien entendu.
Il n’y a aucun personnage dans ce roman, des prénoms simplement, car chaque femme les représente toutes.
Le début de la guerre avec le Japon va à jamais briser la vie de ces femmes envoyant les familles dans des camps d'internement.
« Les japonais nous ont quitté et nous ignorons où ils sont »
Le plus saisissant des romans de cette rentrée. Il est court et d’une densité qui donne envie de le lire à voix haute pour s’en imprégner mieux.
Magnifique roman, meilleur encore que le premier texte de l'auteur qui m'avait beaucoup plu Quand l’empereur était un dieu qui montre l’enferment des familles d’origine japonaise aux Etats-Unis lors de la seconde guerre mondiale il est aujourd’hui en poche chez 10/18
L'avis de Kathel qui a aussi beaucoup aimé
Le Livre : Certaines n’avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka - Traduit par Carine Chichereau - Editions Phébus 2012