Après un shônen (Bleach) puis un seinen (Spice & Wolf), place à un shôjo… Ou plus précisément à une auteure : Ayuko, dont Glénat vient de sortir plusieurs titres en septembre : Souvenirs de demain, Proche Horizon et The Earl and The Fairy.
The Earl and The Fairy est la première œuvre de l’auteur, en 2008, mais aussi la moins convaincante (pour le moment, avec un tome de paru sur quatre), aussi nous parlerons aujourd’hui des deux œuvres qui lui succèdent : Souvenirs de demain alias Sayonara Watashitachi publié en 2009 dans le magazine Betsuma (Five, Aishite Night) et Proche Horizon, alias Tonari no Kanata publié en 2010 dans le magazine Margaret (Hana Yori Dango, Versailles no Bara).
Sous leurs airs de recueils d’amours et d’amitiés lycéennes se cachent des histoires originales et marquantes, grâce à une scénariste pleine d’imagination et une dessinatrice qui ne cesse de progresser.
Poursuivez donc votre lecture, et lançons-nous dans cette critique !
Tout commence avec une couverture…
Celle de Proche horizon, qui attire mon attention. Le regard de la jeune fille en couverture semble ailleurs, au loin, et exprime une émotion complexe, quelque chose que je n’arrive pas vraiment à saisir. Nous sommes en juillet et en lisant le planning des sorties de Glénat me voilà un peu intrigué. Sortie prévue le 19 septembre… OK.Je remarque que ce one-shot ne sort pas seul et qu’une autre couverture me regarde, celle de Souvenirs de demain. Elle est épurée – elle aussi – et seul y subsiste l’essentiel : un sablier, le temps qui passe, et une jeune fille qui joue avec. Cette fois-ci elle sourit – elle ME sourit ? – mais difficile de savoir si elle est heureuse… Un étrange mélange d’apaisement et de mélancolie.
À la même époque, je croise une interview de Stéphane Ferrand, le directeur éditorial des éditions Glénat, chez Manga-News… Et forcément il aborde le sujet d’Ayuko.
Au milieu des questions-réponses assez intéressantes, je tombe sur le passage suivant : « … je n’ai plus eu qu’à me laisser porter (littéralement) par le trait de cette auteure, qui m’a enchanté. Il y a dans son dessin une maturité singulière dans un refus de la facilité sans donner pour autant dans la surenchère technique. Ses cadrages sont branchés en ligne directe avec les sentiments des protagonistes, plus on rentre dans l’intimité du personnage, plus le trait devient éthéré, disparaissant presque. Ses personnages sont vrais, crédibles, ses histoires sont courtes, et intelligentes. Efficace et beau. Je suis très content de présenter ses premiers travaux, qui augurent une fort belle carrière à venir. »
Je ne sais pas vous mais, sur le moment, cette présentation ne me parle pas vraiment … Cela viendra après la lecture en fait. Mais je sens que l’éditeur est fier de son auteure et j’adhère rapidement au projet : commencer par quelques anciennes œuvres dans un panel assez large, pour mettre en avant un nouveau talent. Depuis toujours on nous présente des auteurs avec leurs toutes dernières œuvres et, si le succès est au rendez-vous, on se penche ensuite sur ses œuvres de jeunesse. Un fonctionnement qui se tient mais où le mercantile et l’éditorial flirtent toujours de manière un peu limite.
Comme dans toutes les œuvres de jeunesse, tout n’est pas parfait mais voir une auteure progresser en même temps qu’on la découvre est un procédé beaucoup plus jouissif que de décortiquer sa genèse après coup. Le lien n’en est que plus fort… Le travail éditorial que plus crédible.
Enfin, en ce début octobre, le moment est donc venu. Je pars à la découverte de ce projet qui m’emballe, de cette mangaka qui m’intrigue… De ces regards qui m’appellent.
Pas comme les autres…
«Elle a quelque chose avec les yeux cette Ayuko !» C’est la première remarque que je me fais après avoir ouvert Souvenirs de demain et amorcé la lecture de la première nouvelle. Des yeux qui foisonnent de détails, qui ont toujours quelque chose à dire… Un miroir des émotions, mais tout en retenue. La couverture n’était donc pas un hasard ou une publicité mensongère. Tant mieux.Mais dans ce premier recueil ce n’est pas le graphisme qui suscite l’enthousiasme, car il manque encore de maturité. Le trait simple d’Ayuko s’accommode assez mal des imperfections qu’on détecte ça et là, dans les proportions des visages. Des défauts sur lequel l’œil tombe forcément, à cause d’une relative pauvreté des décors… Le tout freine un peu l’immersion.
Si ce premier tome possède des défauts de jeunesse, passons au second ? Comme tu y vas jeune lecteur, pas si vite, j’ai parlé de freiner, pas de faire machine arrière, bien au contraire. Souvenirs de demain possède d’autres arguments : les scénarios et la narration. Les mots de Stéphane Ferrand me reviennent : « des histoires courtes et intelligentes ». C’est tout à fait ça.
Dans cinq récits, d’une quarantaine de pages en moyenne, Ayuko propose des pitchs simples mais efficaces : un voyageur du futur débarque et vous dit qui aimer ou qui quitter, deux lycéennes fraichement décédées sont renvoyées sur Terre afin de comprendre pourquoi on les a enchainées l’une à l’autre dans l’au-delà.
À ces récits teintés de fantastiques se juxtaposent d’autres entièrement ancrés dans le réel, qui eux aussi font mouche car ils malmènent les codes rose-bonbon des histoires d’amours ou d’amitiés adolescentes : cinq jeunes filles découvrent qu’elles ont le même petit ami, une scénariste et une dessinatrice de manga signent leur première série publiée mais l’une des deux plie violemment bagage, une jeune fille se désintéresse de la star de son lycée et se demande qui donc est le frère de ce dernier, qu’on pointe comme un asocial et un violent.
Tous ces récits ont surement déjà existé ailleurs, mais j’ai l’impression de lire des choses nouvelles… Rafraichissant de voir que la genèse d’une mangaka nous amène à redécouvrir ce que peut offrir le shôjo.
Ces cinq histoires, tout comme celles de Proche Horizon portent en eux l’ADN du shôjo avec ses histoires d’amours et ses amitiés féminines compliquées, mais les mutations ne sont pas rares et on découvre avec plaisir un second génome, plus dramatique, très loin du fantasme d’un quelconque prince charmant. Plutôt que du happy end mièvre, couleur pastel, ces histoires alternent le noir et le blanc, l’amour et la peine, des évènements forts et des vies qui s’écoulent… Ces émotions fortes laissent des fêlures dans le cœur de nos héroïnes mais aussi des traces dans celui du lecteur, qui mettra un certain temps à sortir du récit une fois le livre fermé. C’est toujours un bon signe.
De mieux en mieux…
Dans Proche Horizon, les scenarii s’étoffent, tout comme le graphisme. Le niveau de détail augmente et le chara-design s’affirme. Ayuko fait de ses héroïnes des « demoiselles tout le monde » dont on oublie l’identité pour se focaliser sur ce qui leur arrive, ce qu’elles ressentent. Et ça marche, car toutes ces jeunes femmes nous marquent à travers leurs histoires : on se souvient de celle qui a choisi de mettre en retrait son amour pour rester fidèle à une amie, de celle qui s’est éloignée de son ami d’enfance et qui le regarde du coin de l’œil grandir en restant sourde à ses sentiments, de celle dont l’amitié se transforme en névrose…
Ayuko multiplie donc les destins et les émotions, mais elle diversifie aussi ses coups de crayons avec un trait de base toujours très fin – qui est à la limite de disparaître parfois - et une grande variété de trame. Et ses regards, toujours là, qui en disent long mais sans jamais tout dévoiler…
L’année qui sépare les deux œuvres a permis des progrès palpables. Étant donné que Proche Horizon date de 2010, on désire donc se tourner vers ce que la mangaka a fait depuis… La bonne nouvelle c’est qu’elle ne s’est pas tournée les pouces puisqu’elle a enchainé en 2010 une autre série de 2 recueils, Citrus, et elle est de retour cette année avec un autre recueil du nom de Tanpenshû – Mô Tamago ha Korosanai et une série, un shôjo magical du nom de Mahô Tsukai no Shinyû.
Je me suis empressé de me tourner vers Stéphane Ferrand pour lui demander ce qu’on pouvait espérer pour ces titres, et il semble que la série attire légèrement plus l’attention que les recueils : « Notre politique maison est d’être toujours dans un suivi cohérent avec ce que nous publions. Nous avons donc bien entendu en étude les deux autres one shot recueils d’histoires courtes, ainsi que nous suivons avec grand intérêt les parutions de Mahôtsukai no Shinyû, sa nouvelle série. En effet, au-delà des deux recueils que nous avons fait paraitre, la série de l’auteure, The Earl and the Fairy, reçoit également un superbe accueil de la part du public français. Ayuko est une auteure complète qui sait être à l’aise sur des formats narratifs différents. Au jour d’aujourd’hui aucune annonce n’est à faire mais nous ne manquerons pas de vous tenir au courant. Nous travaillons beaucoup sur les développements shôjo actuellement puisque certains de nos titres se terminent au Japon, et qu’il convient de préparer dès aujourd’hui les futures publications. »
Comme nous le savons tous, ce sont aussi les chiffres de ventes des trois premières œuvres d’Ayuko qui conditionneront en partie la suite de ses publications dans l’hexagone. Heureusement, Souvenirs de demain et Proche horizon semblent sur de bons rails : « Nous avons reçu un fort bel accueil du public et des critiques sur les deux recueils de nouvelles. Proche Horizon semble plaire même plus que Souvenirs de Demain, mais les deux sont reçus comme frais, novateurs, intelligents, et superbement dessinés. Je pense que le public a surtout apprécié l’originalité dans les thèmes et traitements. Pour l’instant les chiffres de ventes sont positifs, même s’il est un peu tôt pour avoir une vision réaliste de ces dernières, les titres n’étant sortis que depuis quelques semaines. » Explique Stéphane Ferrand.
Ayuko est donc déjà une auteure à suivre, et je ne peux que vous conseillez de ne pas attendre davantage pour vous procurer ses deux premiers one-shot – Proche Horizon s’il n’en fallait qu’un – car on tiens quand même là, mine de rien, l’une des pépites du genre pour 2012…
Fiche Technique
Titres : Souvenirs de demain – Sayonara Watashitachi et Proche Horizon – Tonari no Kanata
Auteur : Ayuko
Date de parution : 19 septembre 2012
Éditeurs fr/jp : Glénat / Shueisha
Nombre de pages : 192
Prix de vente : 6.90 €
Nombre de volumes fr / jp : One-shot
Visuels TONARI NO KANATA © 2010 by Ayuko / SHUEISHA Inc. et SAYONARA WATASHI TACHI © 2009 by Ayuko / SHUEISHA Inc.
En bonus de jetez un oeil au site internet de l’auteure, qui prouve à quel point elle a continué à faire des progrès… C’est ici, et voici l’une de ses illustrations :
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