(Devant cette chose tombée de l'espace dimanche après-midi)
"You're a strange animal..."
-Larry Gowan
C'était avant d'avoir les enfants.
Peut-être 1994 ou 1995.
L'amoureuse et moi étions au Centre-Ville de Montréal qui était un peu notre chez-nous. Nous habitions sur la rue Mont-Royal et jamais ne fréquentions nous l'ennui comme dans le 450 d'aujourd'hui.
Nous étions passés par mon sanctuaire, le magasin de musique et de livre coin Berri et St-Denis qui n'était alors pas encore centennaire. Je ne me souviens plus si nous avions acheté ou non. J'ai un terrible réflexe quand j'entre dans ce type de magasin, c'est pire qu'un enfant dans un magasin de jouets. J'ai toujours envie d'en ressortir avec un objet. Généralement un cd, mais depuis la fin du secondaire souvent un livre aussi. Mais avec les livres (merci aux bibliothèques municipales) je réussissais toujours davantage à freiner mes élans. Encore aujourd'hui je suis capabale d'attendre la version d'un livre en format poche. C'est-à-dire à un prix entre 8.95$ et 14.95$ Toujours raisonnable. Mes visites dans ce type de magasin, avec le temps, sont devenues beaucoup plus rares, puisque, tout à fait gratuitement la plupart du temps, je réussis à obtenir tout ça de nos jours. Mais pour mes listes de Noël, encore cette année, je résume mes envies à trois catégories: trois suggestions de livres, trois suggestions de cd et trois suggestions de dvd. Quand j'erre en janvier dans ces magasins, certificats cadeaux en main, c'est une vraie torture de savoir sur quoi je vais l'investir. Une torture de luxe et un plaisir en même temps, on s'entend...
Mais ce sont devenus des pulsions (plus) faciles à gérer avec le temps.
Ce matin-là de 1994 (ou 1995) tout près du sanctuaire du bonheur paradaient des homosexuels dans la traditionnelle parade qu'ils s'offrent chaque été. Ce devait être 1994 car ceci voudrait donc dire que pour l'amoureuse c'était la toute première année de co-habitation avec moi à Montréal. C'est elle qui avait beaucoup insisté pour qu'on y assiste et moi, honnêtement, encore aujourd'hui, je trouve ce déploiement un peu trop près du phénomène de foire. Je devais déjà y avoir assisté dans l'une des deux premières années habitées à Montréal sans elle et je ne voyais pas l'intérêt de m'y représenter.
Pour un regroupement qui tient tant à être accepté dans la majorité je trouve toujours un peu étrange de se comporter en minorité de la sorte. Mais en même temps je reconnais leur besoin d'émancipation. J'imagine que cette même parade est une très grande étape dans la vie de certains des paradeurs. Et je respecte ça. Mais je n'ai pas complètement envie d'aller applaudir les galipettes ou les transgenres qui s'exhibent.
L'amoureuse, pour sa part, trouve tout ça extrèmement amusant. Je soupçonne même qu'elle trouve ça légèrement excitant puisque pendant près de 5 ans, à chaque halloween, elle me suggérait que je me déguise en femme. Ce que je n'ai jamais fait. Fuck no, je serais beaucoup trop belle...
J'ai le souvenir que la parade passait sur le Boulevard René Lévesque qui s'appellait peut-être encore Dorchester (non surement pas...). La belle jubilait, elle riait beaucoup, avait énormement de plaisir. À Québec, la région, un homosexuel est beaucoup plus discret. De les voir s'agiter ainsi l'amusait beaucoup. On se demandait tous les deux si des gens venaient assister à la parade pour essayer de voir si il n'y avait pas des collègues ou des amis à reconnaître dans le lot de paradeurs. Dans la même lignée nous essayions de deviner parmi les paradeurs qui, dans le regard peut-être effrayé, faisait en ce moment même un coming out.
Comme le village gay était tout près, nous avions sensiblement la fin d'une parade et les paradeurs étaient ou bien plus détendus (parce qu'ils rentraient "chez eux" en fin de parcours) ou bien plus fous (comme à la fin d'une activité haute en émotion).
Mais notre attention sur la parade a vite déviée sur quelques jeunes femmes qui se tenaient tout près de nous dans la foule en bordure de "l'exposition". Elles étaient d'âge universitaire et s'amusaient beaucoup elles aussi dans un esprit de fête. L'amoureuse, qui ne les connaissait en rien avait même échangé quelque peu avec elles.
Parmi ce groupe, une jeune fille plus agitée, de temps à autre explosait d'un cri à la limite de l'insulte.
"GRANDES FOLLES!"
Au début elle se trouvait drôle, comme étonnée d'elle même mais rapidement le malaise s'était installé. Ses cris surprenaient, comme des pulsions mal contrôlées, et jetaient un froid dans son groupe d'amies. peu à peu on les voyaient prendre distance de cette jeune femme. Puis les cris devenaient plus agressifs:
"TANTOUZES! GAGE À MARDE!"
Nous la regardions, elle était rouge de tension mal gérée et semblait trembler de tout son corps. C'était comme plus fort qu'elle. Même si les gens échappaient des commentaires à son égard lui suggérant de fermer sa gueule ou de s'en aller, elle restait sur place, légèrement en retrait par rapport à son groupe d'amis original qui semblait la découvrir sous un jour nouveau. Elle restait là comme un animal traqué, incapable de contenir ses pulsions.
Long silence, elle s'était domptée pensions-nous puis...
"DANS LE CUL LES TAPETTES!"
C'en était trop pour ses amies et son entourage, un gros soupir de désolation est tombé sur les gens du coin et physiquement, tout le monde s'est comme déplacé pour la laisser seule avec son mépris, seule avec sa peur.
C'est réèllement l'impression qu'elle laissait, les joues rosées, le corps tremblant, dans une situation de stress extrême. Cette parade la rendait tellement inconfortable qu'elle ne pouvait s'empêcher de garder en elle cette boule de tension suprême. Je la regardais justement quand j'ai vu tout ça monter en elle, comme un vomi indomptable qui part de l'estomac, monte dans la poitrine et s'expulse contre son gré sur le trottoir.
"brmfh..GOUINEZÉFIFIS! 'STIE!"
Elle faisait pitié. Là, à nos côtés, vidée d'un trop-plein d'inconfort. Investie d'une tension tout à fait hors de contrôle.
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J'ai pensé à cette jeune fille troublée cette semaine quand j'ai vu Stéfanie Trudeau, l'agent 728, se croire "légit" dans ses pulsions mal calibrées.
Et quand ses propres collègues l'ont à leur tour désavouée.