Dans le film sorti en 1999, on peut voir comment Ry Cooder a retrouvé puis réuni, en studio et sur scène, des « légendes vivantes » de la musique pour la plupart oubliées et vivant comme de très simples Cubains au milieu des Cubains.
Celui qui figure sur la pochette, Ibrahim Ferrer, sortira ainsi de l’oubli, et son succès à l’âge de 70 ans sera couronné par une collaboration avec Damon Albarn sur le premier (et à l’époque sensément unique) album de Gorillaz, sur le titre « Latin Simone ».
Aussi voit-on les différents artistes impliqués dans ce projet découvrir la ville des villes, New York, tels des enfants, alors qu’ils vont y donner une représentation après le succès de celles ayant déjà eu lieu à Amsterdam.
De la vingtaine d’artistes montant sur scène, il serait un péché de ne pas tous les nommer, un par un, tant l’importance de chacun est grande. Malgré tout, je vais donc pécher pour ne pas alourdir notre récit. Cependant, je vous presse vivement à consulter les crédits de ce live At Carnegie Hall afin de pouvoir découvrir tout un tas de chanteurs et musiciens qui le méritent absolument tous.
J’en reviens à cette pochette, qui monte ensemble un Ibrahim Ferrer qui avance, sûr de lui mais tête baissée car sans prétention aucune, et une ville de New York qui, elle, avance fièrement. La rencontre des deux, cette « ville des lumières » et l’une de ces nouvelles étoiles qui en réalité brillèrent il y a de nombreuses années en leur pays, donna naissance à un moment magique et frissonnant.
Au total, seize titres ont été choisis parmi ceux qui firent vibrer les salles de concert de la capitale néerlandaise et, pour ce qui concerne notre enregistrement, de la capitale occidentale par excellence qu’on le veuille ou non.
Même s’il y a des pièces instrumentales de toute beauté, « La engañadora », « Buena Vista Social Club », « Siboney », « Mandinga » (sur laquelle il y a quelques chœurs) et « Almendra », les moments les plus intenses arrivent quand musiciens et chanteurs sont réunis sur la scène.
Ne cherchez pas d’intrus, il n’y a que des classiques de la musique cubaine : « Chan chan », « De camino a la vereda », « El cuarto de Tula », « Dos gardenias », « Quizás, quizás », « Veinte años », « Orgullecida », « ¿ Y tú qué has hecho ? », « El carretero », « Candela » et le final « Silencio » sont tout autant de sommets.
Un très grand moment, fort en émotions, d’autant plus que certains des artistes sont aujourd’hui décédés. Il faut ajouter à cela le contexte de l’époque, toujours d’actualité, avec une situation diplomatique toujours aussi tendue entre Cuba et les Etats-Unis, malgré le départ de Fidel Castro du trône révolutionnaire qu’il aura occupé pendant un demi siècle. L’histoire de la musique cubaine dans le pays ou depuis l’extérieur (la diaspora demeure très grande en Europe ou aux Etats-Unis) continuera d’être étroitement liée à l’Histoire de l’île depuis que la politique castriste gère absolument tout dans la société. Malgré quelques ouvertures du régime révolutionnaire, très peu de changements notables sont visibles, et la musique continue de rester encrée dans des sonorités dignes de la première moitié du 20ème siècle. Certes, l’hommage est magnifique. Cependant, avec tant d’artistes sur une petite île caribéenne (de 10 millions d’habitants et près de 2 millions dans le monde), vous imaginez tout de même à côté de quoi nous passons sûrement. Ou pas, si l’on regarde du côté des voisines Porto Rico, Jamaïque, etc.
Tout un symbole, donc, que ce concerts de Cubains en LA ville américaine. Le parallèle ou clin d’œil entre les vieilles voitures américaines de l’affiche du film et les célèbres « yellow cabs » new-yorkais me touche ainsi particulièrement.
Bien sûr, je vous conseille autant l’écoute de ce concert que le visionnage du film. Et même, si possible, de voir le film avant d’écouter le concert. Vous ne manquerez alors pas de vibrer comme tous.
(in heepro.wordpress.com, le 18/10/2012)