Sous le titre Ecoute petit homme, Nelly LEJOSNE vient de publier un recueil de récits et de contes, qui se présentent comme ceux qu'une mère, amie, grand-mère, raconterait à un enfant. La tonalité de ces historiettes, souvent inspirées de récits de vie authentiques, heureux, souvent malheureux, qui débutent dès l'enfance et se terminent à l'âge adulte. Le ton de ces dialogues est plaisant lorsqu'il s'agit du présent mais le contenu des histoires laisse souvent une impression mélancolique, car les vies de tous les personnages sont marquées bien souvent par des drames, des fêlures enfantines, des fins tragiques. Il s'agit pourtant de la réalité de l'existence et la morale qui se dégage des récits est celle du courage devant l'adversité, de l'obstination, de la révolte utile vers la justice. Une leçon donnée par ces "petits hommes" (y compris de "petites femmes") à celui qui écoute ou lit les douze chapitres intitulés "Celui qui aimait les marionnettes", "Celui qui partirait", "Celui qui n'aimait pas le riz", "Celle qui sentait bon le pain", "Celle qui avait des bottes", etc.
Pourquoi évoquer ici ce petit ouvrage de 135 pages réalisé, semble-t-il, en auto-édition ? Parce que l'auteur a eu la gentillesse de nous l'adresser et parce que deux des histoires contées au "petit homme" concernent le Compagnonnage et les métiers, ce qui est peu courant dans la littérature destinée aux enfants.
Le premier, au chapitre VIII, s'intitule "Celui qui fut Compagnon". Il s'agit de la vie librement adaptée de François Roux, François le Champagne (1809-1865), l'auteur du plus grand chef-d'oeuvre de menuiserie connu. En voici quelques lignes :
Suite:
"Quand il était à son établi, les mains de petit homme, jamais hésitantes, s'envolaient, pourtant chaque geste était précis, calculé. Au rythme de ses outils, ses narines se dilataient, ses lèvres se gonflaient. Dans la lumière de l'hiver, dans la lumière de l'été, la sciure se transformait en paillettes, les longs copeaux en rubans de mariage. Petit homme mettait tant de coeur à l'ouvrage ! En 1835 les Compagnons Menuisiers du Devoir de Liberté lancèrent un défi aux Compagnons Menuisiers du Devoir. Pour répondre à ce défi, petit homme conçut le chef-d'oeuvre. Il ne le verra achevé que vingt-deux ans plus tard. Ce qu'il imagina dépassait l'imagination ! Ce n'était pas un chef-d'oeuvre mais un ensemble de chefs-d'oeuvre ! Un pavillon de style Renaissance, haut d'un mètre soixante-dix, composé de dix sept mille sept cents pièces ! Toutes numérotées ! Toutes se montant et se démontant comme un jeu de construction ! Petit homme ne s'épargna aucune difficulté : maquettage, torsades, sculptures, voussures..."Dans le chapitre XI, Nelly Lejosne imagine la personnalité de Juliette Caron, "la première femme charpentier", qui eut l'honneur de figurer sur des cartes postales dans les années 1900, et sur laquelle on ne sait pas grand chose. Elle en dresse un portrait qui séduira les femmes des métiers d'aujourd'hui :
"Tôt le matin, les Troyens voyaient passer Juliette, brunette coiffée d'un chignon enfoui sous une casquette à courte visière. Elle marchait d'un pas rapide, dans ses bottines de cuir à talons plats, sa bisaiguë à la main. Dans les poches de son largeot, un compas, un mètre, une équerre, un cordeau. Elle marchait, la tête haute, le regard fier. Un éclair de défi passait souvent dans ses grands yeux noisette et ses lèvres esquissaient toujours un sourire charmeur, certes, mais rarement ironique. Aux femmes, cet éclair dans l'oeil disait : "Eh non ! Je ne suis ni dentellière comme l'aurait voulu ma mère, ni tapissière comme l'aurait souhaité mon père... Ni laitière, ni lavandière, ni mercière, ni bouvière, ni plumassière, ni sorcière ! Je suis charpentière ! (...) Aux hommes, le sourire de Juliette disait : "Eh oui ! Je suis une femme et je fais le métier que j'ai toujours voulu faire. Je suis une femme et je suis charpentière ! Tout mon corps, qui vous paraît si fragile, est musclé et dur à la tâche. Je suis une femme et j'ai des mains d'homme, des mains aux doigts épais, aux ongles courts, des mains râpeuses et gercées en hiver. Et je n'échangerais pas ma bisaiguë contre un dé à coudre ou une aiguille de tapissière. J'aime l'air. J'aime même les courants d'air. J'aime le vent et même la pluie. Je suis libre. Libre comme l'oiseau." Quand Juliette souriait, les hommes baissaient les yeux."
Écoute petit homme, de Nelly LEJOSNE est disponible chez l'auteur, 85, rue de la Vence 08000 CHARLEVILLE-MEZIERES au prix de 12 €, frais d'envoi compris.
L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)