Ça chauffe, ça fume, ça bouillonne
là-dedans, là-dessous, sous la calotte de ce Crâne chaud, pas qu’un peu. Drôle de livre, drôle de dame(s), belle
excitation.
Reprenons : impossibilité me semble-t-il de classer le livre dans un genre
ou dans l’autre, et même le narrateur joue du genre (les gourou(e)s des gender studies n’ont qu’à bien se tenir,
voilà du grain à moudre pour elles – c’est d’ailleurs un des grands intérêts de
ce livre, écorner toutes sortes de préjugés, se moquer du bien pensé, du bien-pensant,
sauce contemporaine….). Je suis désolé.e., jubilerait Quintane (comme disent
les Américains)
Reprenons : de quoi ça parle ? Pas de rien, certainement pas, mais
d’un peu tout, oui. En principe d’amour. Dans un mélange joyeux et la plupart
du temps très drôle, où se côtoient en premiers rôles Jean Genet et Brigitte
Lahaie. Qui est-ce ? se demande sans doute le lecteur (du livre et de
cette présente note, à propos de la seconde bien sûr…). Je me suis moi-même
interrogée pour savoir si c’était un personnage de fiction, mais non pas du
tout : ancienne actrice de films classés X, Brigitte Lahaie s’est
reconvertie dans une émission quotidienne très écoutée de RMC (confidences et
conseils sur la sexualité). Elle est un des fils conducteurs du livre de Nathalie
Quintane, sorte de porte-parole pour des réflexions déjantées sur le sexe, avec
une touche érotique version dérision : quelque chose qui au fond fait
plutôt penser aux interrogations d’un enfant qu’à quelque chose de plus sexo/logique.
L’auteur parle de sentiments sexuels
et le fameux zizi sexuel, s’il n’est
pas dans le texte, s’interpose plusieurs fois dans la lecture (!)
Reprenons : c’est de la poésie ce livre ? Non pas vraiment. C’est un
roman ? Non. Alors quoi, ça se range où ? Eh bien ça ne se range pas
justement. C’est une élucubration, une fantaisie
réaliste critique dit la quatrième de couverture du livre et c’est bien vu.
Il faut noter le mot critique car si
Quintane prétend se laisser aller irrésistiblement dès qu’un bout de narration
s’impose, elle maîtrise bien son affaire. Ça bouillonne mais pas en bouillon de
culture ni en brouillon, ça fuse mais dirigé et c’est là que le mot critique éclaire. Car en fait on se rend
compte qu’il y a là, bien cachée mais tout à fait opérante, une critique
sociale & littéraire multiforme décapante. Il faudrait faire un inventaire
précis des préjugés qui sont ainsi attaqués au vitriol par l’auteur : tout
ce qui tourne autour du sexe bien sûr, mais aussi la pensée formatée, le
langage tout autant… (D’où autre personnage-clé, aux côtés de Jean (Genet) et
de Brigitte, Gertrude (Stein) : Quintane réfléchit à la répétition d’un
mot, s’y essaie en un vrai petit cours de Stein pour les Nuls (p. 112 et
suivantes).
Enfin, il n’est pas exclu qu’il y ait de fortes allusions autobiographiques
mais tellement noyées, travaillées, chamboulées qu’elles finissent par susciter
le soupçon. Susciter le soupçon, n’est-ce pas d’ailleurs une des clés du
livre ? En quoi il rejoindrait une des visées de la poésie : déloger
le lecteur de ses certitudes, sur le double plan de la réalité ou soi-disant
réalité et de la langue qui sert à la dire : « toutes les ambiances
familiales ne sont pas uniformément chiantes [...] mais consistent plutôt en
une alternance de chiance et de foutre la paix. » (156)
Reprenons : et la manière ? Aussi fantasque et débridée que le reste :
« j’aime les livres qui foncent » (p. 122) : on peut s’en
remettre à ce que dit l’auteur, elle est bon juge : « Moi, je parle
d’amour dans une prose sobre ou alambiquée. Je n’asticote pas les structures.
Il peut y avoir des petits moments vigoureux, mais pas à proprement parler de
vigueur nouvelle, bien qu’il soit fort possible qu’une somme de petits moments
vigoureux donne au final une sorte de vigueur ». (p. 29). C’est bien vu
donc, mais je dirai plutôt une sorte d’élan, de dynamique plutôt que de vigueur
pour ce que cela donne au final. Ce Crâne chaud se lit très bien, dans une
sorte d’emportement jouissif.
Sa langue est parfaitement lisible, agréable à lire même mais mêlant fortement
les registres, du familier au pseudo-savant, du pseudo-populaire au pastiche. C’est
que les lecteurs veulent pouvoir lire « quelque chose qui ne ressemble en
rien aux cartes postales de leur grand-mère, une langue pure de spécificités
mamyques ou médiatiques, une langue syntaxiquement dé-médiatique et a-familiale
voire a-familière ». Critique,
disait-on…
C’est diablement intelligent, souvent hilarant et ça prête à penser, comme on dit. À recommander chaudement aux crânes
froids et à tous ceux qui s’ennuient un
peu dans leurs lectures….
Encore une petite citation pour la route, une métaphore de l’effort
quintanier ? :
« des betteraves poussent dans l’obscurité. La voiture passe devant leurs
efforts dans le noir, elles font gn gn pour percer la calotte glaiseuse, les
mottes taillées géométriquement par la machine ; comment peut-on tirer du
sucre de ça ? (p. 201)
Vale
[Florence Trocmé]