J'avais décidé ce matin là que je regarderais en direct le déclaration du gagnant du prix Nobel de Littérature. De toute façon j'étais réveillé depuis 5h10.
La rumeur parlait beaucoup du japonais Haruki Murakami. J'ai lu par le passé Chroniques de l'Oiseau à Ressort, dans une période passablement occulte de ma vie, j'avais beaucoup aimé. Tant aimé que je n'avais jamais osé relire un autre de ses livres de peur d'être déçu. Je voulais garder ce souvenir de quasi-perfection, intact. J'avais dévoré les quelques milles pages en très peu de temps. Mon rendez-vous matinal sur l'internet avec la Suède était comme des retrouvailles avec un auteur dont je ne connaissais qu'un seul livre mais dont je ne connaissais pas le visage.
Je n'ai jamais vu une remise de prix Nobel. Ou une déclaration de gagnant. J'avais les yeux rivé sur le gros plan d'une porte fermée. Une grande porte haute, blanche, avec des dorures ici et là. Un plan fixe. Un immobilisme familier. Celui de ma génération face à l'emploi. Ou cette porte...serais-ce plutôt l'emploi face à notre génération?
C'est peut-être ça mes nuits blanches, l'incertitude devenue angoisse. La poisse. J'étais semi-comateux en tout cas, fixant la porte fermée sur le net.
Dans le bas de l'écran défilaient des nouvelles sur une bande horizontale. G.Tremblay se dit à l'aise malgré les révélations. Ah! j'avais un feed québécois. J'étais si peu allumé que j'ai d'abord pensé à Guylaine Tremblay, l'actrice d'Unité 9. C'était quoi les révélations? que je me demandais. Puis je me suis dit que ce ne devait pas être elle, Guy? Guy Tremblay? qui est Guy Tremblay? Avant même de trouver tout seul, c'est le bas de l'écran qui m'a répondu en parlant de Gérald Tremblay dans une autre nouvelle. Quel con! Ben oui, Gerald bien sûr, mais il est tellement mort professionnellement qu'on ne le compte plus celui-là. Il était déjà aux oubliettes.
Dans Chroniques de l'Oiseau à Ressort, Murakami nous fait passer du rêve à la réalité avec un récit catalysé comme dans un vortex. Il y a perte des sens dans son livre, ce qui rend le tout aérien. Il y a ce puits à sec dans lequel le principal protagoniste se terre pendant un bout de temps. Un endroit où il fait froid. Dans un coin de mon écran on montrait un endroit où il avait neigé au Québec ce matin-là. J'aime la neige, j'aime l'hiver, j'aime le froid. J'étais bien. Aérien. Aérien dans la froide matinée. Au fond d'un puits à sec tout personnel.
Puits à sec parce que j'ai fait une traduction récemment, remise le 3 septembre dernier et nous voilà le 18 octobre et les bandits qui m'ont engagé ne m'ont pas encore payé. On joue au chat et à la souris au téléphone.
"Oui, y a -t-il un problème avec ma paie?"
"Je vais vérifier et je vous rappelle"
Ces deux simples phrases peuvent s'étendre sur 4 jours. Efficacité nulle. C'est peut-être ma dernière traduction auprès de ces gens qui ont de régulières visites inopinées de la part d'un service innatendu depuis plusieurs semaines.
C'est ça qui m'énerve. Porte fermée. Plan fixe. Immobilisme.
Finalement il y a eu cet homme quelconque, comme il y en a tant issu de ses endroits chics qui ressemblent à des palais en Europe. Il a baragouiné du suédois et tout le monde a tendu l'oreille pour tenter de saisir le nom de l'auteur gagnant qui lui, sera facile à comprendre. C'est Haruki Murakami qui était le favori à 10 contre 1. L'an dernier toutefois c'était le poète suédois Tomas Tranströmer qui avait remporté le prestigieux prix alors qu'il était deuxième, à 9 contre 2, derrière le poète syrien Adonis qui était donné favori à 4 contre 1.
Cette année il y avait aussi Milan Kundera et Ismail Kadaré parmi les favoris. Des auteurs chéris à moi. Je commençais à comprendre que contrairement aux oscars ou autre cérémonies de remises de prix où les nominés sont sur place et réagissent en direct, cette fois je ne verrais pas la bouille et la réaction des auteurs. Je n'aurais qu'un personnage quelconque, affublé d'une mauvaise cravate, qui me dirait...Mo Yan...Qui?
Mo Yan.
Connait pas.
Pourtant je devrais, il a écrit Beaux Seins, Belles Fesses, titre auquel je ne peux pas rester insensible.
M'enfin, dirait un héros de mon enfance.
J'ai encore le temps de l'explorer.
J'ai toute la vie qui me passe à côté.
Moi, traducteur impayé, avec mes yeux posés la grosse porte fermée.