Il y a quelques mois (c'était avant le sommet de Chicago : en février : cela sonne comme une éternité), j’avais évoqué la question de la "smart defense". Cette initiative de partage des capacités (ou plus exactement, soyons exacts, de partage du développement de capacités nouvelles) avait été proposée l'année précédente par le SG de l'Otan, A. Rasmussen, autour de trois principes : priorisation, coopération, spécialisation. Sans surprise, quelques projets avaient été adoptés à Chicago, mais rien de bouleversant. Je n'avais pas caché, à l'époque, mon scepticisme. Ce matin, nous étions quelques uns à discuter du sujet, quelques mois après (merci VP et JS). Et j'ai au moins le droit d'écrire ce que j'ai dit. Na.
1/ Le processus capacitaire de l'Otan est un vieux processus. Au cours de la guerre froide, il s'appelait "planification de défense" et disait aux nations les lacunes et les efforts à accomplir pour contribuer efficacement à l'effort de défense collectif. Cet outil, cœur de l'intégration, a beaucoup évolué au cours de la guerre froide et demeure, sous sa nouvelle version, NDPP. Mais si la Plan.Def. n'était pas très efficace durant la guerre froide, elle l'a encore moins été depuis. Au fond, si on veut être ultra réaliste, la Plan. Def. sert aujourd'hui à diagnostiquer ce qu'il y a réellement et surtout à démontrer aux resquilleurs à quel point ils resquillent. En ce sens, il est plutôt favorable aux intérêts des grands pays.
2/ Dès lors, à partir de la fin des années 1990, l'Alliance a promulgué une série d’initiatives capacitaires : celle de Washington (1999), celle de Prague (2002), la directive politique globale de 2006, la directive capacitaire de Lisbonne cette année. Est-il besoin de souligner que le renouvellement constant de ces engagements successifs prouvent que les objectifs affichés n'ont pas été tenus?
3/ Autrement dit, la méthode capacitaire normative, du collectif vers les Nations et visant à les inciter à payer, n'a pas, mais pas du tout fonctionné. Et si les puissants le toléraient lorsqu'ils avaient de l'argent, en ces temps de crise, ils ne le tolèrent plus du tout. La France au premier chef. Bref, les moyens et les petits, vous aussi payez, cessez de resquiller. Les Américains le dirent dès l'an dernier (discours d’adieu de Robert Gates en juin 2011) et les Français ou les Britanniques le disent également.
4/ C'est ici que la Smart Defense (SD) devient intéressante. D'abord, remarquons qu'elle ne concerne que 5% de l'ensemble des dépenses d’investissement de l'alliance (90 % étant nationales). Bref, des projets secondaires, et donc moins anxiogènes. En fait, la smart défense témoigne d'une logique de boite à outils. Ne s'assemblent que ceux qui veulent s’assembler ensemble, sur des projets limités. On se met à deux, trois ou quatre sur tel sujet (FR US sur le joint ISR par exemple) et on développe. C'est au fond une sorte de "coopération renforcée",qui limite la taille, permet de justes retours et évite les grosses machineries ingouvernables. Bref, les Français étant devenus sacrément pragmatiques, cela peut leur convenir parfaitement.
5/ Il y a toutefois quelques risques.
- le premier est celui d’associer au processus un financement commun. Aujourd'hui, pour entrer dans un projet il faut payer sa quote-part pour en bénéficier (y compris pour développer sa BITD). Remettre du Financement commun irait bien sûr dans le sens de la technostructure et surtout irait à l'encontre de l'objectif principal, qui consiste à inciter les resquilleurs à payer.
- le deuxième est celui de la politique industrielle. En matière de défense, c'est une industrie de souveraineté. Les grands en Europe (FR, UK, mais aussi GE, IT, SU) y voient l'intérêt. Ceux qui n'ont rien ne voient pas l'intérêt puisqu'il n'y a pas de juste retour.....
- le troisième réside bien sûr dans le terme de "spécialisation" qui pose bien sûr une vraie question de souveraineté...
6/ Dernière remarque : nous autres français voyons sans cesse le rapport FR US et donc la domination de l'industrie US. Remarquons au passage qu'elle n'a pas besoin de la SD pour vendre ds l'Otan (et qu'aux États-Unis, on regarde d'ailleurs avec suspicion cette SD). Mais on ne voit pas que nous sommes un grand par rapport aux autres, et que nous avons un effet d’entraînement. Là réside une vraie opportunité : s'associer avec des petits ou moyens sur tel ou tel projet, de façon à développer une influence politique et des projets industriels, labellisés Otan, qui auront du coup des perspectives ailleurs.
Finalement, si on est malin, la SD peut être une belle opportunité. Je suis donc moins sceptique, ais tout après est affaire de mise en oeuvre et des coopérations qu'on va trouver.
O. Kempf