J’ai voté Brunschwig !
Il y a des albums que je ne peux pas attendre de lire et que je dévore directement après leur achat, mais il y a également des bandes dessinées que j’entasse sur une pile à lire, dont la taille devient de plus en plus inquiétante au fil des années. Puis, il y a ces quelques pépites que je ne consomme par directement, mais que conserve précieusement à l’écart afin de pouvoir les lire au moment le plus opportun, quand je suis certain de ne pas être dérangé. Les albums de Luc Brunschwig font inévitablement partie de ce lot de grands crus que je ne consomme pas pour avoir l’ivresse du bédéphile accro, mais que je déguste avec saveur lorsque je désire renouer pleinement avec ma passion. Du coup, vous devez attendre un peu plus longtemps pour avoir mon avis, mais ce n’est pas trop grave puisqu’il ne sera forcément pas des plus objectifs.
On est donc dimanche matin. La vieille, je n’ai pas su me rendre à la dédicace de Brunschwig, organisée par le pourtant très sympathique « Jaune », et il me reste encore une bonne heure de tranquillité avant d’aller voter pour les communales. Peut-on imaginer un moment plus opportun et plus approprié pour entamer la lecture du deuxième tome des Enfants de Jessica ? Les ondes de Brunschwig, qui réside dans ma ville jusqu’à la fin du week-end, sont forcément encore présente dans l’atmosphère et je vais pouvoir m’imprégner de sa vision sociale et politique, juste avant d’aller voter à… ben non, pas à gauche, faut pas pousser non plus !
La fin du tome précédent laisse forcément deviner qui l’on enterre lors de ce « Jours de deuil » ou faut-il peut-être y voir l’ensevelissement de la réforme sociale de Jessica Ruppert, voire même la fin de sa carrière politique ? Le lecteur découvre tout d’abord ce qui pousse le président Mac Arthur à lâcher sa Secrétaire d’État aux Affaires sociales. Cette dernière n’est donc pas en grande forme, trahie par son propre camp et doutant de ses réformes suite à la vague de violence qui frappe sa ville de New-York.
Luc Brunschwig continue donc d’explorer les rouages politiques de l’American Way of Life, en se demandant au passage si l’Amérique est prête à renoncer à son identité, à abandonner sa logique de l’économie de marché au profit d’un système plus solidaire et plus équitable, à renoncer à une partie de son American Dream pour mettre fin au cauchemar de ce pays confronté à une crise économique sans précédent. Le regard qu’il porte sur la société américaine est sans concession et les problèmes qu’il aborde d’actualité.
Mais, cette uchronie qui dresse le portrait d’une société en pleine dérive, s’intéresse surtout au quotidien des membres de cette société. Brunschwig suit donc en parallèle les destinées de Jessica Ruppert, de sa fille adoptive Amy, du très charismatique Joshua Logan, de sa femme Xuan Mai, du petit orphelin Salim et de Colin Strongstone, un jeune afro-américain fan des Logan’s. Le développement psychologique des différents personnages est à nouveau un modèle du genre, tout comme l’enchevêtrement de leurs destins au sein de cette conspiration politique.
Si le scénario excelle au niveau du réalisme des situations et que la fluidité du récit est une nouvelle fois exemplaire, malgré le développement de plusieurs scènes en parallèle, il faut également souligner l’excellent travail de Laurent Hirn au niveau du graphisme. Que ce soit au niveau du découpage, de la colorisation ou de l’efficacité du trait, l’auteur livre à nouveau un sans-faute alliant justesse et simplicité, avec quelques belles trouvailles lors des cauchemars d’Amy par exemple. Notons également que cette première édition est enrichie d’un cahier graphique « Making off » particulièrement intéressant.