Syrie - Devons-nous intervenir en Syrie ?
(Politis, septembre 2012)
Alep, août 2012 © photo Pierre PICCININ
« Salaam aleikoum, Pierre. I think you call me… I’m sorry ; I can’t receive your call. Situation, here, in hospital, is so bad… Especially today! It’s a crazy state… Ok... I hope to you… Bye-bye… Bye... »
Cet appel, qui illustre de manière tragique le désarroi auquel sont abandonnés les insurgés de Syrie, je l’ai reçu il y a quelques jours. C’était le Docteur Yasser Darwish, un des rares médecins de l’hôpital Dar al-Shifaa, à Alep, où affluent chaque jour des dizaines de blessés.
J’y étais, en juillet et août, mon cinquième séjour en Syrie.
Je n’oublierai jamais les yeux de ce petit garçon qui s’est réfugié dans mes bras et que j’ai éloigné du spectacle insoutenable des corps de ses parents et de son grand-frère, broyés par le plafond de béton de leur immeuble bombardé. Ni non plus ce 21 août : un hélicoptère avait tiré trois roquettes sur une foule, lors d’une distribution de pain; des véhicules se sont succédés pendant des heures, déversant morts, blessés, morceaux de corps humains sectionnés, déposés à même le trottoir.
Tous les jours, j’ai été témoin de crimes contre l’Humanité, tels que les définit le droit international.
En juillet 2011, en décembre et janvier ensuite, j’étais rentré de Syrie, sceptique : les manifestants étaient peu nombreux et seules quelques bourgades se révoltaient ; et certains quartiers de Homs, où j’avais rencontré les rebelles… Par contre, dans les grandes villes, des centaines de milliers de Syriens manifestaient leur confiance dans les promesses du président al-Assad et attendaient les élections « libres » de mai.
J’y suis retourné peu après ces élections, truquées, décevantes : plus de manifestations pro-Assad ; partout, des policiers et des militaires, et des villes assiégées. La dictature réprimait, sûre du soutien russe : bombardements de civils et arrestations massives des opposants.
Dans ce contexte nouveau, les observateurs étrangers dérangeaient : incarcéré à Homs, moi-même électrocuté et tabassé, j’ai vu les atrocités commises dans les prisons…
La Syrie n’est pas en proie à une guerre civile, ni à une manœuvre néocolonialiste, se jouant d’un conflit clanique comme en Libye. Il s’agit d’une révolution populaire face à une dictature policière.
Les onze Conseils militaires de l’Armée syrienne libre ont édicté une Charte (les minorités, qui avaient craint une insurrection islamiste, s’en sont trouvées rassurées) : lutte contre al-Qaeda ; élections démocratiques et État de droit ; respect des Droits de l’Homme et interdiction des vengeances (dont certains s’emparent pour salir la Révolution, en les comparant abusivement aux crimes que le régime a quant à lui institués en système de gouvernement).
Mais les rebelles n’ont aucun moyen contre l’aviation ; et les munitions s’épuisent.
Pour une fois, un peuple appelle à l’aide. Ni troupes au sol, ni appui aérien. Les insurgés demandent simplement que les États-Unis et la France cessent de les empêcher d’acheter des armes et d’être ainsi « les complices des crimes de guerre commis par le régime ».
Car on se saurait affirmer qu’il n’y a pas d’intervention en Syrie : dans les faits, derrière les discours, l’Occident démocratique a choisi son camp ; et ce n’est pas celui des révolutionnaires.
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