Protection, une fanfic sur la série Sherlock : chapitre 09 / 24

Par Kaeru @Kaeru
 
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Chapitre 9
L'exercice verbal de haute voltige avec Carmine m'a épuisé.
D'abord, elle a abordé le sujet Moran. Je lui ai donc donné les éléments dont je me souvenais. Puis avec beaucoup de tact, la question de l'identité du dénommé Sigerson est tombée dans l'assiette. Entre la poire et le fromage. Un entremet indigeste. Un anonyme bien intentionné a envoyé à Carmine, à son adresse personnelle, une série de photos de Sigerson. Pour que le message soit limpide, un cliché avec retouche informatique de Sherlock était aussi dans l'enveloppe ainsi qu'une feuille blanche avec un point d'interrogation tracé au marqueur.
Carmine m'a dit qu'il était possible que ces documents datent, qu'ils soient falsifiés. J'ai lu dans ses yeux qu'elle croyait à leur véracité, qu'elle était juste extrêmement gênée d'aborder ce sujet avec moi. J'ai désamorcé la tension naissante par une plaisanterie stupide et sorti la paperasse de ma serviette. De quoi l'occuper.
Elle est restée sidérée.
Comme je le pensais, elle n'avait que le nom de famille sans l'identité. Quand je lui ai donné la biographie du botaniste norvégien en situant sa mort probable et le début de l'imposture, elle a cessé de me ménager. La colère a teinté sa curiosité satisfaite et elle a fini par jurer en des termes bien peu féminins sur l'égoïsme de « ce crétin qui pense être au-dessus de tous et de tout ». Le repas s'est achevé dans une ambiance un peu lourde, aussi pâteuse et fade que le tiramisu industriel que j'avais eu la bêtise de commander.
À l'addition, j'étais presque heureux de retourner à Barts. Je me suis souvenu de l'altercation avec l'autre John. Je la lui ai racontée avant qu'on se sépare. Un cadeau pour un au revoir plus léger.
Sherlock m'attendait dans mon bureau, assis sur ma chaise. J'ai eu l'impression d'un saut temporel de trois ans.
Il a coupé ses cheveux, qui ont retrouvé leur brun presque noir naturel. Il est habillé d'une veste et d'une chemise indigo cintrée. La coupe impeccable des vêtements et leur tissu de qualité. Son port, son attitude. Tout. Sur sa mâchoire rasée de près, il arbore fièrement son ecchymose qui vire au violet, comme un trophée. Quand elle sera jaune moutarde, il crânera moins.
Je retrouve l'homme que je savais mort. À mieux l'observer, je décèle, dans la posture, un inconfort, peut-être dû à ses contusions. Son visage est quand même amaigri, ses traits creusés. Son regard est plus... moins. Je ne sais pas. Il a un calme, une profondeur que je n'avais jamais saisis avant. Peut-être que c'est moi qui ai changé. Moi qui le vois différemment. Sa présence m'allège. Me soulage du malaise persistant de mon déjeuner.

Hunger drives the wolf out of the wood - Illustration de Anne Jacques


— Je croyais que tu voulais passer inaperçu ?
— Absolument pas. Comment voudrais-tu que je puisse passer inaperçu ?
Il me lance un regard incroyablement hautain qu'il module d'un sourire en coin.
— Je voulais te prévenir avant. Qu'on discute. Maintenant, il ne me reste plus qu'à faire mon coming-out. Enfin, façon de parler...
Je me demande s'il se fout de ma gueule...
— Comment s'est déroulé le repas avec la journaliste ? Tu as lâché le morceau ? Donné des informations juteuses sur ma vie ?
Bien sûr, il est au courant.
— Sherlock ?! Bien sûr que non ! Je n'ai rien dit. Mais elle a des photos de toi en version scientifique venu du nord. Et elle a déjà effectué une grande partie des déductions. Je lui ai juste fourni de quoi éviter les erreurs fâcheuses. Mais, tu as tout prévu, n'est-ce pas ?
— Non. Je ne l'ai pas contactée. Mycroft s'en est chargé. J'ai reçu une copie des documents.
Soudain, je comprends mieux pourquoi il a ressurgi.
Ce qui l'a poussé à revenir d'entre les morts. La vexation du rôle tenu par Molly dans sa disparition n'est rien par rapport à ce que je ressens là.
Respirer calmement.
— John ?
Brusquer Sherlock ne sert à rien. À part m'énerver encore plus et rendre la communication difficile. Sans compter que j'ai toujours l'impression de filer des coups de pied à un chiot quand je l'engueule. Un chiot caractériel et plus arrogant que la Reine, mais néanmoins, un chiot, mal éduqué et ignorant des convenances qui régissent le monde.
— Bon, viens, on va s'occuper de te faire ces radios.
Il s'extrait de ma chaise avec une lenteur peu habituelle.
— Molly sait que tu es là ?
— Non. Pas encore. Je t'ai déjà dit que je voulais te voir, toi, avant.
— Ben c'est fait.
— …
Je me masse les tempes. J'ai l'impression de rater quelque chose. Je n'ai pas assez dormi pour jouer aux devinettes. Mon repas de ce midi a mobilisé toutes mes capacités diplomatiques et je n'ai pas envie de décrypter des messages codés. J'avais oublié à quel point Sherlock pouvait être à la fois retord, manipulateur et d'une sincérité désarmante. À quel point il est blessant et à quel point il est touchant...
Je ne sais pas s'il y a une bonne marche à suivre pour revenir d'entre les morts. Molly sait qu'il est vivant, je suis certain qu'ils ont eu des échanges de mails ou SMS. Le revoir lui fera quand même un choc. J'aimerais la préparer avant.
Je pose ma serviette en cuir sur le bureau, sors mon badge, et mon mobile que je glisse dans la poche arrière de mon pantalon.
— Tu t'es battu ? Je veux dire, avec quelqu'un d'autre que moi ? Enfin, techniquement, tu m'as juste tapé dessus.
Son sourire carnassier et son ton enjoué suscitent une impression bizarre au creux de mon estomac malmené par la crème trop riche du dessert et le café trop fort.
— Oui. J'ai eu certaines dissensions avec l'un de mes collègues...
— Alors, il faudra que tu me le présentes. Au moins, je pourrai exercer mon petit talent de déduction sans froisser ton sens aigu du savoir-vivre.
— Oh, ce sera avec plaisir !
Je m'apprête à ouvrir la porte du bureau quand quelqu'un déboule. Juste le temps de m'écarter, j'ai bien failli avoir une belle bosse.
— Molly ?!
— C'est vrai ? Il est là ? S'exclame-elle avec un enthousiasme frôlant l'hystérie.
Le bureau n'est pas bien grand et Sherlock reste planté au milieu, dans une immobilité comique. La jeune femme se précipite vers lui, hésite, et l'embrasse dans une étreinte rapide et affectueuse.
— J'ai entendu la fille de l'accueil se plaindre d'un homme très beau qui disait avoir le droit d'accéder au bureau du Docteur Watson et qui aurait été proprement odieux. La pauvre était en train de se faire rudoyer par le responsable de la sécurité pour l'avoir laissé entrer ! Il n'y avait que vous, Sherlock, pour une telle prouesse.
— Et un tel manque de savoir-vivre, je murmure entre mes dents.
Je sens que la journée m'échappe totalement.
Depuis hier soir, je me sens ballotté, incapable de naviguer sur une rivière déchaînée dont les flots changent de directions sans crier gare.
Molly me remercie pour le coup de poing de ce midi et m'explique qu'elle n'en peut plus des avances vulgaires de l'autre John. Elle m'assure qu'en cas de souci avec la direction – ce qui me paraît probable – elle témoignera en ma faveur et d'ailleurs, elle a conservé les messages d'invitation à des pauses-café, déjeuner et même dîner qui se sont multipliés ces six derniers mois. Elle ne m'en a jamais parlé avant. Je me sens un peu nouille. Sherlock, toujours heureux d'ajouter son grain de sel, se joint à la conversation. Je le trouve très poli avec Molly.
Et la jalousie se réveille.
Mon estomac, déjà pas très joyeux, se tord désagréablement. J'ai l'impression d'avoir une balle rebondissante sous cocaïne dans mes viscères.
Quelqu'un frappe deux coups énergiques à la porte. Pas le temps d'ouvrir la bouche que Sherlock lance un « entrez ! » fort cavalier. Et, sous mes yeux catastrophés, Carmine arrive dans l'arène.
— John, désolée ! J'ai oublié de te rendre le bouquin que tu m'avais prêté. Comme je l'avais sur moi...
Elle sourit à Molly, aperçoit Sherlock et son expression se fige.
J'ai l'impression que mon existence bascule dans la TwiligthZone ou du théâtre à la Vaudeville. Sherlock, tout fier, tend sa main fine et élégante à Carmine, dans un geste apaisant. Molly s'étrangle dans un « bonjour » et enchaîne sur :
— Est-ce que John t'a dit qu'il avait mis un bourre-pif à l'autre John ?!
Je ne sais pas si c'est l'expression imagée dans la bouche de Molly, l'air immensément satisfait de Sherlock comme si c'était lui l'auteur dudit « bourre-pif » justicier ou le choc de Carmine qui se mue en une expression encore indéfinissable, mais je prie pour une libération.
N'importe laquelle.
Un acte divin.
Même un coup de téléphone de Mycroft.
Quand la porte du bureau s'ouvre violemment pour la troisième fois en moins de dix minutes, mon cœur rate un battement. Non, ce n'est pas possible !
Là j'ai ma dose.
Il s'agit d'un jeune technicien qui jette un œil fugace sur le postérieur de Carmine avant de me dire précipitamment :
— Le boss veut te voir. Ton poste ne répond pas. C'est urgent.
Je regarde, abasourdi, le combiné sur le bureau, me demandant vaguement ce que Sherlock a bricolé, et profite de l'excuse. Je fuis lâchement. Il me reste juste à éviter de vomir sur le bureau du directeur, sans quoi, ce serait le pompon...
À suivre mercredi prochain ! 
  Copyright : Marianne Ciaudo