Cette fin d’après midi là, je patiente au théâtre, je m’apprête à partir dans quelques minutes.
J’attends une collègue dans le hall car nous avons un dernier petit truc à mettre au point.
Il y a déjà quelques spectateurs qui ont pris leurs billets et qui attendent l’ouverture des portes avant un concert. Des musiciens font une dernière pause clope avant de regagner les coulisses. J’observe du coin de l’oeil, une conversation se déroulant entre l’un de mes collègues, une jeune femme et un jeune homme. Je sens une certaine tension.
Tout à coup, la jeune femme commence à hausser la voix et s’énerve.
Elle fait de grands gestes et crie. Elle utilise des mots comme « scandaleux », « elle ne reviendra plus ici » et d’autres expressions aussi radicales exprimant son mécontentement.
Mon collègue tempère la discussion. Je n’entends pas très bien ce qu’il dit, mais je vois à ses gestes qu’il essaie de calmer le jeu. La jeune femme continue à s’emporter et à faire de grands gestes. Je ne sais pas exactement ce qui se passe, mais je trouve qu’elle en fait un peu trop. Dans le hall, je vois les musiciens écraser nerveusement leurs cigarettes et partir rapidement en loge. Les spectateurs déjà présents repartent vers l’extérieur, certains regardent la scène discrètement, d’autres semblent gênés et plongent le nez dans le programme papier du théâtre.
Un peu plus tard dans le bureau, je retrouve mon collègue et curieuse comme je suis je m’enquiers de ce qui s’est passé. Il m’explique la situation. Il y a eu un problème d’organisation. Je félicite mon collègue d’avoir géré aussi calmement la situation. Nous convenons tous les deux que l’énervement de la jeune femme semblait un peu excessif surtout que la situation a été réglée en quelques instants et qu’elle a continué à s’énerver encore plusieurs minutes. J’y repense un peu plus tard et je me fais la réflexion qu’il y a quelques années, j’aurais été en totale admiration devant un tel comportement.
Oui totale admiration.
Parce qu’avant, vois-tu, quand j’étais une jeune femme facilement impressionnable (en vrai je le suis encore un peu, mais j’ai un chti peu changé depuis), je croyais que l’affirmation de soi passait forcément par une gueulante bien sentie pour exprimer son mécontentement. Du coup, quand je voyais quelqu’un s’emporter dans une situation anodine, j’étais en total respect parce que je croyais que la meilleure manière de se faire entendre c’était de gueuler le plus fort. Et cela parfois même si l’autre personne en face est très calme hein. Bien sûr, j’ai cherché à faire pareil. Lors de conversations anodines, je m’emportais (bizarrement, je me comportais comme ça surtout en milieu professionnel) parce que je voulais marteler mon opinion sur telle chose, je m’énervais par rapport à ceci ou cela. Ce qui était ridicule, drôle c’est que je ne m’énervais même pas contre quelqu’un en particulier. Non. C’est juste que j’avais avant tout à cœur de montrer à autrui que MOI AUSSI, j’ai du caractère et que JE ne me laisse pas marcher sur les pieds, non mais. Alors que finalement, si j’en ai tant que ça du caractère pourquoi aller prouver aux autres que j’en ai, U know ce que je veux te dire ? Du coup, je me suis longtemps crue « faible » sous prétexte que je ne déchaînais pas les océans à chaque fois que je me retrouvais dans une situation où je sentais que je devais m’affirmer.
C’est assez récemment que j’ai reconsidéré les choses. Je réfléchis beaucoup à l’idée que s’affirmer, cela ne veut pas forcément dire s’imposer, écraser ou dominer l’autre. Il y a encore bien des situations qui me mettent hors de moi hein : les méfaits de certains régimes sur la santé et l’estime de soi, des campagnes de pubs sexistes, des verdicts de justice sur des affaires graves, le manque de respect entre individus etc. J’en aurais tellement à citer. Seulement, ce sont maintenant des réactions très viscérales qui n’ont plus rien à voir avec le registre d’une colère affichée juste pour dire que je suis trop une « vénère de la life » qui sait se faire respecter. Même si je vais être honnête, cela m’arrive encore parfois d’être dans une posture « vénère de la life ».
Mais bon, au moins j’apprends maintenant à faire passer mes idées en posant mes limites, tout en me positionnant. Je m’affirme tranquillement en essayant de me respecter et de respecter autrui. Et puis, c’est un soulagement de laisser cette posture constante de « colérique » derrière moi, il y avait quelque chose de vraiment épuisant à se montrer comme ça dès que je voulais défendre mon petit morceau de steak.
Du coup, je me sens plus à l’aise quand je dois faire passer une idée. J’expérimente l’affirmation sans gueulante et je dois dire que je trouve ça vraiment, très plaisant et que cela me convient bien.
Peut-être que je trouverais une forme de sagesse qui sait ? comme ce cher maître Yoda
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