C’était il y a quatorze ans, et c’est peu dire que Peter Weir et Andrew Niccol, le scénariste de « The Truman Show », ont visé juste. Le temps leur a malheureusement donné raison, même si aucun producteur ne s’est encore risqué à faire du concept du film une réalité télévisuelle. Mais quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit où l’on zappe, les chances sont fortes de tomber sur des bimbos filmées 24 heures sur 24, des ch’tis filmés 24 heures sur 24, et tout autre couillon d’être humain qui pense que voir sa vie épluchée par les caméras est le summum de la réussite et du bonheur sur Terre. En 1998, l’heure était à l’avertissement, mais en 2012, c’est le triste constat qui sonne à la porte, sous la forme de Reality, le nouveau film du réalisateur de Gomorra.
Si le constat est triste, le film ne l’est pas. Du moins l’amertume n’empêche-t-elle pas Matteo Garrone d’inscrire son film dans la droite lignée de la noble comédie italienne, où la bouffonnerie souligne le mal-être d’une époque. Luciano est un poissonnier napolitain, figure de son quartier et de sa famille qui aime faire le clown mais se satisfait très bien de le faire pour son proche entourage. Jusqu’au jour où ce même entourage va lui mettre dans le crâne qu’il devrait passer le casting pour participer à « Il Grande Fratello », la version italienne de « Big Brother » (que l’on a connue en France avec « Loft Story », puis de nombreuses déclinaisons). Tout d’abord peu intéressé, Luciano va se prendre au jeu jusqu’à être obsédé par cette émission.
Truman rêvait d’être un homme comme tous les autres. Luciano a peur d’en rester un. Truman paniquait à l’idée de savoir que tout le monde le voyait. Luciano panique à l’idée que personne ne le remarque. Truman se savait épié de tous. Luciano le désire tellement qu’il parvient à se persuader qu’il l’est. Truman était un messager. Luciano est un pauvre bougre comme il en existe aujourd’hui des millions. Hier, c’était un show télévisé. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une réalité.