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En 1998, la télé-réalité était un concept encore assez vague vu de Gaule. « Big Brother » n’avait pas encore franchi nos frontières, alors voir débarquer « The Truman Show » de Peter Weir avait peut-être quelque chose d’extravagant. Je me souviens de l’anticipation, de l’excitation autour du film. Pas seulement parce que Jim Carrey était la plus grande star comique américaine en 1998, mais aussi, et surtout, parce que le long-métrage semblait immédiatement avoir le potentiel pour devenir un film phare de son temps, précurseur dans ce qu’il allait montrer, et questionner non seulement sur son époque, mais également sur les années à venir. C’était cela, « The Truman Show », un avertissement sur grand écran de ce qu’était en train de devenir le petit écran. Et au-delà du petit écran, de la tournure qu’allait prendre la célébrité, et la perception que tout un chacun se ferait d’elle.
C’était il y a quatorze ans, et c’est peu dire que Peter Weir et Andrew Niccol, le scénariste de « The Truman Show », ont visé juste. Le temps leur a malheureusement donné raison, même si aucun producteur ne s’est encore risqué à faire du concept du film une réalité télévisuelle. Mais quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit où l’on zappe, les chances sont fortes de tomber sur des bimbos filmées 24 heures sur 24, des ch’tis filmés 24 heures sur 24, et tout autre couillon d’être humain qui pense que voir sa vie épluchée par les caméras est le summum de la réussite et du bonheur sur Terre. En 1998, l’heure était à l’avertissement, mais en 2012, c’est le triste constat qui sonne à la porte, sous la forme de Reality, le nouveau film du réalisateur de Gomorra.
Si le constat est triste, le film ne l’est pas. Du moins l’amertume n’empêche-t-elle pas Matteo Garrone d’inscrire son film dans la droite lignée de la noble comédie italienne, où la bouffonnerie souligne le mal-être d’une époque. Luciano est un poissonnier napolitain, figure de son quartier et de sa famille qui aime faire le clown mais se satisfait très bien de le faire pour son proche entourage. Jusqu’au jour où ce même entourage va lui mettre dans le crâne qu’il devrait passer le casting pour participer à « Il Grande Fratello », la version italienne de « Big Brother » (que l’on a connue en France avec « Loft Story », puis de nombreuses déclinaisons). Tout d’abord peu intéressé, Luciano va se prendre au jeu jusqu’à être obsédé par cette émission.
Voilà donc où nous en sommes. A être prêt à tout pour nous exposer aux yeux du monde. A étirer nos quinze minutes de célébrités pour qu’elles s’étendent à la journée entière, et la suivante tant qu’on y est. Ainsi se pose le regard triste de Garrone. Son film est un conte, comme le prouve cette ouverture en calèche et cette conclusion vers les étoiles. C’est un conte comme le prouve la douce musique composée par Alexandre Desplat. Un conte où l’on rit, où l’on pleure, où l’on crie et où l’on s’aime, mais un conte bien réel.
Truman rêvait d’être un homme comme tous les autres. Luciano a peur d’en rester un. Truman paniquait à l’idée de savoir que tout le monde le voyait. Luciano panique à l’idée que personne ne le remarque. Truman se savait épié de tous. Luciano le désire tellement qu’il parvient à se persuader qu’il l’est. Truman était un messager. Luciano est un pauvre bougre comme il en existe aujourd’hui des millions. Hier, c’était un show télévisé. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une réalité.