Suite de notre billet : examinons maintenant les options stratégiques.
III Options stratégiques
De nombreux observateurs se placent encore dans la logique d’un monde bipolaire : à cette aune, il faudrait choisir entre les Etats-Unis et la Russie. Le deuxième choix serait facilité par deux raisons : d’une part, le désintérêt américain pour l’Europe, d’autre part, la nature plus admissible du régime russe (régime autoritaire mais non communiste). Il faudrait alors constituer un axe Paris-Moscou, le plus souvent enrichi en Paris-Berlin-Moscou, certains prônant un Paris-Berlin-Varsovie-Moscou.
Cependant, cette perspective paraît un peu illusoire. S’il est effectivement possible voire souhaitable de réfléchir à l’architecture de sécurité européenne qui tiendrait compte d’un certain rift transatlantique, cela n’entraîne pas automatiquement le déplacement vers un grand allié à l’Est. Tout d’abord, ce grand pays est beaucoup moins puissant qu’il le fût (le budget de défense russe est en 2012 comparable au budget de défense français). Surtout, rien ne dit qu’il veuille réellement se rapprocher des Européens, surtout si l’on examine les penchants du gouvernement actuel pour une doctrine eurasiatique, qui vise justement à redonner à la Russie la place d’une grande puissance autonome, capable de se mesurer aux autres grandes puissances. Accessoirement, les discours idéalistes européens s’accordent mal avec le froid réalisme de la Russie.
Là réside en effet la difficulté : pour se mettre en couple, il faut être deux. A supposer que les Européens (et la France au premier chef) veuillent se rapprocher des Russes, rien ne dit que ceux-ci, dans la configuration actuelle de la scène internationale, en manifestent le même désir.
Il faudrait dès lors se placer dans une optique réaliste. C’est d’ailleurs l’attitude partagée par la France et l’Allemagne, mais selon des modalités différentes :
- l’Allemagne choisit un réalisme économique, et ménage la Russie dans les affaires économiques, et notamment énergétiques (cf. la direction de Northstream par G. Schroeder). Toutefois, sa décision de sortir du nucléaire risque de la mettre en dépendance de Moscou, sous réserve que le marché du gaz ne soit pas bouleversé par l’énorme accroissement de production du gaz de schiste aux Etats-Unis.
- La France choisit un réalisme politique et militaire, n’hésitant pas à transiger en 2008 au moment de la guerre avec la Géorgie, ou en vendant des BBPC Mistral. Elle tolère dans les faits (à l’image de beaucoup d’Européens) les excès commis lors des opérations en Tchétchénie. Toutefois, on imagine mal un approfondissement des relations dans l’ordre militaire (même si Paris comme Moscou manifestent une grande réticence au projet de Défense antimissile balistique) ou politique (car il faudrait que Moscou accepte de partager des compétences au lieu de vouloir défendre un westphalisme des plus classiques).
Ainsi, un rapprochement franco-russe paraît aujourd’hui très théorique et peu opératoire. En revanche, des convergences tactiques et opportunistes sont possibles. De la Realpolitik, pas de la grande stratégie.
O. Kempf