Richard Kelly est un homme sympathique. Non seulement, il arrive à réaliser des film stimulants mais il prend son rôle de producteur, via sa société Darko, très au sérieux en venant en aide aux petites productions qui mériteraient un coup d’œil. Ce God Bless America en fait partie.
Un couple avec un adulte et une adolescente, des flingues, un drapeau américain, l’affiche donne le ton du métrage : God Bless America veut tout défoncer sur son passage comme aux plus belles heures d’un cinéma américain qui regarde sous un œil acerbe sa propre condition. Et force est de reconnaître qu’il y arrive plutôt bien. Le monde du travail, la télévision, la génération du XXIème siècle sont les cœurs du cible du cinéaste et de son alter ego, Frank. Ce dernier se demande d’ailleurs s’il ne va pas péter un plomb devant un tel déluge de stupidité globalisée. Pour le plus grand plaisir du spectateur, le burn-out va bel et bien arriver. Il va alors prendre la route et l’arme pour aller châtier ceux qu’ils ne jugent pas assez intelligents pour vivre dans notre civilisation occidentale. Si la démarche est carrément jouissive, elle est peut-être parfois légèrement moralisatrice. Il ne faut pas non plus que les protagonistes se sentent supérieurs aux autres, ce qu’ils ont tendance à parfois penser, ou se réunissent autour d’une logique passéiste en reprenant en cœur le célèbre refrain « c’était mieux avant ». De héros, ils pourraient passer pour des personnes détestables, ce qui n’est pas le but premier d’un cinéaste qui les aime profondément. Le métrage aurait pu également plonger plus en profondeur dans les méandres de la civilisation américaine, soit en convoquant une seule réflexion et en analysant l’intégralité des tenants et aboutissants, soit en tentant un arc-en-ciel thématique. Il ne reste finalement qu’en surface, tapant sur des problématiques futiles même si elles ne sont pas dénuées d’intérêt. C’est dommage car à la reprise de ces points, God Bless America n’arrive pas à devenir aussi riche qu’il le souhaiterait.
La grande force du film vient du fait qu’il ne condamne pas son couple héroïque. Le cinéaste se déleste d’un quelconque discours sur les armes à feu. Pourtant, il y aurait des choses à dire quand on voit une jeune fille mineure s’éclater à fusiller des gens. La réelle subversion se situe à ce niveau, plus que de critiquer des éléments trop évidents : retourner une donnée plus que jamais problématique dans les Etats-Unis d’aujourd’hui et la montrer comme une puissance exutoire, un instrument de révolte, un moyen de défense contre celui qui empêche le développement de la nation US. Que Dieu Bénisse l’Amérique, en effet, pour ces héros des temps modernes qui reprennent à leurs comptes la base de la civilisation américaine dans la construction du pays (le deuxième amendement de la Constitution, quand même) et l’appliquent au pied de la lettre pour sauver ce qui peut encore l’être et (re)construire les Etats-Unis sur un terreau nouveau, vierge et fertile pour un futur meilleur comme les pionniers l’ont fait avant eux lors de la conquête. Les armes retrouvent finalement leur sens premier, moral, identitaire et à ce titre, le film fait mouche. Mieux encore, c’est surtout l’occasion de prendre en compte l’extraordinaire pouvoir de catharsis du cinéma. Qui n’a jamais eu envie d’exploser sa télévision devant les sommets de crétinerie qu’elle propose ? Qui n’a jamais eu envie d’aller tapoter l’épaule de son voisin dans un lieu quelconque pour lui dire que certaines choses ne se font pas ? Frank ose dire et faire ce que, secrètement, beaucoup n’ont pas réussi à faire pour de multiples raisons. God Bless America est un véritable médicament pour les défenseurs du bon goût.
Néanmoins, le film n’arrive pas à dépasser son statut critique. La faute en revient à une mise en scène somme toute assez peu travaillée et à un scénario aux ficelles cousues de fils blancs. Ce n’est pas tant que ce dernier soit prévisible dans son déroulement mais sa forme en elle-même pose problème. Plus que de se retrouver devant une écriture des personnages qui n’est pas spécialement fouillée tant ceux-ci restent globalement sur une même ligne directrice, le spectateur regarde en fait une construction banale et typique du cinéma américain avec ses montées jouissives, ses chutes empathiques et son discours final qui donne la leçon. God Bless America en deviendrait-il alors cynique ? Se foutrait-il de la gueule de son auditorium ? La réponse n’est pas aisée mais on voudrait répondre par la négative. La critique reste acerbe et il faut davantage voir dans cette logique une certaine forme de classicisme de la part d’un réalisateur au fait des habitudes cinématographiques efficaces et sans prise de tête. Surtout, pouvons-nous y voir une forme plus maligne que prévue si l’on suggère que le film prenne à l’identique les armes qu’Hollywood utilise pour mieux contourner la fabrique à rêves, retourner ses propres défauts, ses archétypes contre elle-même. Cette démarche pourrait s’avérer passionnante mais elle n’a pas l’air de contaminer le film. Il faut que le spectateur prenne beaucoup de recul, tire par les cheveux les principes d’écriture scénaristique pour entrer dans cette logique. Quant à la réalisation, si certains plans arrivent à sortir du lot et si quelques effets sont du plus bel effet, l’ensemble reste globalement assez réduit à du plan-plan. Certes, cela demeure profitable car le rythme est soutenu, les moments humoristiques sont bien présents, les acteurs font bien le boulot et arrivent à distiller de la surprise et le déluge de références pop fait plaisir à entendre mais une petite ambition formelle en plus aurait fait basculer le métrage dans une autre dimension.
God Bless America est efficace et cela s’arrête là. Néanmoins performant en de nombreux points, il aurait mérité d’aller plus loin dans sa démarche pour qu’il puisse s’inscrire dans le panthéon des œuvres filmiques rebelles, iconoclastes et définitivement cultes.