Contrepoints a rencontré fin septembre Jean-Michel Fourgous, figure de proue de le mouvance libérale au sein de la précédente majorité. Membre du RPR puis de l'UMP, Jean-Michel Fourgous est maire de la ville d'Elancourt (Yvelines). Il fut député de 1993 à 1997 puis de 2002 à 2012. Ancien chef d'entreprise, il est arrivé plusieurs fois en tête de l'argus parlementaire réalisé par Contribuables Associés. Battu en juin dernier par Benoit Hamon, il a accepté de nous faire partager son expérience de la vie politique française, en revenant en toute liberté sur les faits marquant de l'actualité politique de ces derniers mois.
Entretien mené par Ludovic L.
Jean-Michel Fourgous, maire d’Élancourt et ancien député
LL : Quel regard portez-vous sur les élections de juin dernier ? Comment lutter contre le parachutisme en politique ?
JMF : Le problème du parachutage est le même qu’entre la théorie et la pratique. En théorie, vous pouvez tout faire, tout promettre, y compris l’impossible ! En pratique, vous connaissez la réalité des choses et vous devez tenir un discours de vérité. M. Hamon est l'exemple-type du parachuté qui n'est pas sincère avec ses électeurs : il a promis des choses incroyables, avec des centaines de milliers d'emplois à la clé, dont on ne verra jamais la couleur. Souvenez-vous de Mitterrand, élu en 1981 sur la promesse de créer un million d'emplois. Résultat : il a créé un million... de chômeurs ! Quand on arrive parachuté, on dit n'importe quoi, et les personnes qui ne vous connaissent pas se disent que, peut-être, il se pourrait que vous ayez raison ! Alors que l'élu qui est sur place, lui, ne peut pas tout se permettre, il a des engagements de terrain et doit tenir un discours de vérité. Quand vous avez vu et fait les choses, vous ne pouvez pas faire des promesses démagogiques ou manipulatoires.
LL : Hamon vous a violemment attaqué sur plan idéologique : on vous a accusé d'être un ultra-libéral, etc. Pourtant, on ne peut pas s'empêcher de penser que c'est une victoire avant tout médiatique, et non une victoire de fond. Peut-on affirmer que la victoire de Hamon reflète une sincère adhésion des électeurs au projet « ultra-socialiste » ?
JMF : C'est, comme vous le dites, une victoire purement médiatique ! Les deux tiers des électeurs se font une idée sur un candidat au travers des médias. Or, quand l'extrême-gauche représente près d’un journaliste sur deux, il n'y a plus rien à faire. M. Hamon, c'est l'extrême-gauche, ce sont les attaques sur la famille, l'entreprise, le travail, tout ! Il va remplacer le postier ! Le premier pouvoir aujourd'hui en France, ce n'est pas le pouvoir économique, c'est le pouvoir médiatique. Bernard Arnault, premier entrepreneur français, traîné dans la boue, mis au ban de la société par le journal Libération... C'est digne de la Pravda ! Quand on raconte que Total ne paye pas d'impôts, c'est un mensonge scandaleux ! L’État taxe le principal produit distribué par Total à des taux mirobolants ! Comment peut-on laisser dire des choses pareilles ? C'est l'aile marxiste du PS qui est derrière tout ça, dont le dessein est de monter les français contre l'économie de marché, contre les riches, les entrepreneurs, la famille, les propriétaires. Les journalistes militants vous expliquent que la France est le pays des inégalités, mais rien n'est plus faux. On surveille l'écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres ; cet écart est plus faible que la moyenne européenne. Faire croire aux français que nous sommes le pays des inégalités, c'est un mensonge délibéré. Vous savez, la mécanique est bien connue, c'est celle des trotskistes : il faut diaboliser votre adversaire, le faire symboliser le mal. C'est l'histoire de Sarkozy au Fouquet's : ils l'ont caricaturé, noirci, abaissé, humilié, jusqu'à ce qu'entre les deux tours de l'élection présidentielle, on dise de lui qu'il était corrompu et qu'il avait touché 50 millions de dollars de la part de Khadafi. Tout ça était complètement artificiel, on a construit le mal, et le PS, qui dénonçait ce mal, est donc apparu comme étant le bien. Hollande va en payer la note. Sa descente aux enfers a commencé. Il est déjà critiqué et a du mal à le supporter, mais ce n'est rien ! Attendez un peu, qu'il annonce les mauvaises nouvelles ! Nous sommes face à une situation inédite en termes politiques. Quand le chômage va commencer à monter sérieusement, Hollande sera contraint de prendre des mesures libérales – il n'y a que cela qui fonctionne – et là, l'extrême-gauche va décrocher, dont la presse d'extrême-gauche. Je pense que ça va mal se terminer. Pour l'avenir, notre seule solution est de faire confiance à l'économie de marché, il n'y a que les entrepreneurs qui peuvent nous sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Or, prenez Montebourg, par exemple. Un journaliste interrogeait l'un de ses conseillers techniques, et lui de répondre : « vous savez, les chefs d'entreprise, il faut leur taper sur la gueule, parce qu'ils aiment ça ! » Quand vous voyez tous les chefs d'entreprise de ce pays qui ont la vie dure en ce moment, alors que les commandes plongent, qu’ils n'ont plus de réserve, que les banques ne leur prêtent plus, c'est que nous sommes dans une situation très grave ! Et quand le ministère qui est censé les défendre annonce qu'il faut leur « taper sur la gueule », on est dans un autre monde !
LL : Vous parliez de la victoire morale de la gauche qui arrive à imposer sa grille de lecture sur la politique française. N'est-ce pas, en partie du moins, imputable à l'UMP ou feu le RPR, qui ont suivi la gauche sur certaines questions économiques ou de société, et répondaient aux attentes des journalistes de gauches ? Vous me parliez des inégalités, mais vouloir prouver que les inégalités restent stables, c'est déjà intégrer le mode de pensée de la gauche !
JMF : Je suis d'accord. Parfois, Sarkozy a voulu taper dans le sens des faiseurs d'opinion et a pu céder. Un jour, alors que je me battais contre l'ISF, Sarkozy m'a dit: « C'est toi qui va m'apprendre les dégâts que font l'ISF ? Moi je suis maire de Neuilly ! Et tu vas m'apprendre, à moi, les dégâts que font l'ISF ? Si j'annonce que je supprime l'ISF, très bien ! Mais on ne sera pas élus. ». En France, les Socialistes ont réussi à créer une image de défiance de l'entreprise, de l'économie libérale.
Toutefois, il fut malgré tout un Président hors-norme. Certainement l'un des présidents les plus libéraux que l'on ait jamais eu. Il remettait en cause les Socialistes sur toute la ligne : leur culture, leurs référents, leurs symboles ; il flinguait tout. C'est pour ça que la gauche l'a tué.
LL : Le fait est que la défaite a tout de même eu lieu. Non seulement les dirigeants de l'UMP, pour se conformer à ce qu'ils croyaient être l'opinion de l'électorat, ont renoncé à certaines réformes de grande ampleur, mais ils ont malgré tout perdu. Est-ce que la victoire de Hollande n'est pas, finalement, le résultat de la déception d'une partie des électeurs de droite, qui espérait ces réformes en 2007, et qui n'en a pas eu pour son vote ?
JMF : Je crois que peu de Français ont saisi l'ampleur du danger de la crise économique. Même s'il agaçait, Sarkozy a rassuré les Français par son action, ses décisions. François Hollande est un séducteur, Sarkozy était un décideur ! C’était un vrai pilote dont la France aurait besoin aujourd’hui. Mais en pleine crise économique mondiale, il n’a pas pu tout faire. Il a du se concentrer sur la sortie de crise financière et prendre des mesures douloureuses, souvent mal comprises. Mais son objectif a toujours été le même : s’attaquer à la dette accumulée ces 30 dernières années et rétablir la compétitivité française.
LL : Un amendement récemment voté étend les dispositions de la loi sur le logement social, et va fixer un quota de 10% logements sociaux dans les petites communes de 1500 à 3500 habitants. Alors que l’État prend le pas sur la politique municipale, quelle est la marge de manœuvre du maire et de son équipe pour mener des politiques locales en toute indépendance ?
JMF : La gauche française est une gauche autoritaire, c'est une gauche qui, fondamentalement, n'est pas démocratique. Le PS est un parti très dirigiste. Avec cette proposition, les socialistes touchent à la liberté de gestion des communes, ils en assumeront la responsabilité ! Ce genre de mesures, couplées à une politique migratoire qui demeure floue, cristallise le rejet de l'immigration.
"Le socialisme va s'effondrer"
LL : Comment lutter contre cette idéologie qu'est le dirigisme ? En 1996, vous aviez déposé une proposition de loi pour supprimer l'ENA. Quelle est la part de responsabilité de « l'énarchie » dans la situation actuelle de la France, selon vous ?
JMF : La France est l'un des seuls pays dont la classe dirigeante est issue non pas d'une école de commerce ou d'ingénieurs, mais d'une école pour fonctionnaires. C'est un cas unique au monde ! Sauf, peut-être, en Corée du Nord... Ensuite, l'ENA inculque une culture qui est complètement archaïque, ringarde : on y enseigne le développement de nouvelles structures publiques. S'il y a un problème, on vous apprend à créer un observatoire, mais surtout pas à agir ! Ce n'est pas une école de décideurs! On vous apprend à prendre le pouvoir, non à décider. De plus, la culture économique des énarques est extrêmement faible. Ils sont brillants intellectuellement, scolairement, certes, mais ont-ils déjà travaillé en entreprise ? Non. Ils n'ont pas de compétence en économie de marché. La compétence, c'est l'interaction entre une formation et une expérience. À ces gens qui n'ont aucune expérience de l'entreprise, de l'économie de marché, on n'a appris que l'économie administrée. Conséquence, vous vous retrouvez avec 57% de dépenses publiques rapportées au PIB. Voilà une belle marque de la productivité de l'ENA ! Giscard disait qu'il avait appris le marxisme à l'ENA. Un énarque ne sait pas faire autre chose que taxer, augmenter les impôts, monter des structures compliquées, remplacer un dispositif par un autre ; rien si ce n'est créer des impôts nouveaux, taxer les Français, créer de nouvelles prestations sociales, de nouveaux droits-créances. Ils ne savent que redistribuer la richesse, la répartir, en aucun cas la créer. Or, aujourd'hui, le problème français est un problème de création de richesse. L'ENA est passée de mode, elle est même dangereuse ! Pourtant, dans les cabinets de MM. Hollande et Ayrault, vous avez plus de 50% d'énarques, moins de 10% de leurs collaborateurs viennent du privé. C'est inimaginable ! Benoît Hamon a un jour dit quelque chose qui n'est pas faux : « le socialisme, on l'apprend au MJS, ensuite à Sciences Po, puis à l'ENA. Ce sont les meilleures formations. »
LL : Nous subissons en France 57% de dépenses publiques rapportées au PIB, ainsi que les prélèvements correspondants. Quels sont les leviers pour réduire la dépense publique en France ?
JMF : Il faut ajuster le nombre de fonctionnaires à la moyenne européenne. Il faut arrêter l'embauche de fonctionnaires dans les missions non-régaliennes. Le problème, c'est qu’à chaque fois que vous embauchez un fonctionnaire, vous détruisez deux emplois privés ! Il faut un certain nombre de fonctionnaire, mais au-delà de ce nombre, on entre dans la dose pathologique. Les fonctionnaires, pour justifier leur rôle, dépensent de l'argent, allongent le processus de décision. Il faudrait un quota d'au moins 50% des gens issus du privé dans les cabinets ministériels, car le processus décisionnel français est confisqué par la fonction publique. Le fonctionnaire qui se présente à la députation devrait être obligé de démissionner au moment même où il est élu, voire même au moment où il dépose sa candidature. Sinon, on sait ce qu'il se passe : il va utiliser son poste de député pour augmenter les moyens publics de sa direction, dans laquelle il va plus tard revenir. C'est pour cela que ces gens-là continuent de faire grossir le fromage public, dont ils vivent : ils entretiennent l'idée que le public c'est moral, que le privé c'est immoral. C'est insupportable ! La moyenne des salaires publics est supérieure à la moyenne des salaires privés : désormais, redistribuer la richesse rapporte plus que la produire.
LL : Puisque l'ENA n'est pas envisageable, quel conseil donneriez vous à un jeune libéral qui voudrait changer les choses, se lancer en politique ?
JMF : Le journalisme, les médias, sont des points stratégiques. Il faut changer la conception des Français, il faut leur donner une culture économique. C'est par l'économie que nous allons gagner, le socialisme va s'effondrer, et je pense que cet effondrement va donner du courage à la droite. Rejoignez l'UMP ! Le FN n'a aucun avenir. Le Pen n'a pas de culture économique, ce n'est pas sérieux. Ce n'est pas le FN qui aura le pouvoir après une crise grave, ils n'ont pas un discours rassurant. L'UMP a des défauts, mais connaissez-vous un parti idéal ? Une famille idéale, ça n'existe pas. Alors certes, il n'est pas parfait, ce parti, mais je n'en vois pas d'autres ! Quoique j'ai été élu sans investiture, la première fois. Les aventures individuelles ont parfois du bon, mais en ce moment, je n'y crois pas. À l'UMP, ils ont des moyens, c'est une machine de guerre ! Allez donc vous frotter, seul, à une machine de guerre... Vous n'avez aucune chance ! C'est eux qui auront le vent en poupe dans deux ans et dans cinq ans. Aux municipales, de nouveaux profils vont rentrer en politique, parce que nous allons gagner des bastions grâce au sentiment de rejet suscité par le PS.