Ou le grand télescopage.
Habituellement la production française, pop, rock ou variété, n’est jamais rien d’autre que… Française. Confinée entre les quatre coins de l’hexagone. Exception culturelle oblige. Qui plus est quand elle choisit de s’exprimer dans sa langue natale et ce malgré des joliesses évidentes, une dimension poétique incarnée par la richesse de son vocable. Du coup, parfois, le plus souvent même, les artistes s’y emprisonnent malgré eux. Déconcertés, ils en oublient au passage l’exigence mélodique qui prévaut dans la pop. Puis vint Lescop. Oh, certes, en ce moment il n’est pas le seul à faire bouger les lignes de la chanson française. À la plonger dans le grand bain de la modernité. Accord perdu. Mais Lescop s’impose à nous pour s’être avant tout distingué. En jouant d’abord la carte du mystère, essence même de la (très)(bonne) musique. Le jeune homme le confesse, il voulait « retrouver une intensité, comme lorsqu’on écoute les Doors sans comprendre les paroles ». Et c’est un peu l’impression qui envahit à la première écoute, surtout la face A compilant, au sein même de l’album, le meilleur de Lescop. Mots et phrases frisent l’abstraction, mieux encore, ils arrivent à sonner, à faire échos à la musique dont la dimension synthétique constitue l’enluminure idéale. La plus sèche, mais aussi la plus dense. Pour ne pas dire Dance. Pas réellement pensées comme des histoires, les chansons s’impriment aisément puis finissent par se dérouler, se démultiplier en mantras obsédants. Certaines renvoient à une mythologie contemporaine comme c’est le cas dans La Forêt, le premier single à avoir fait le tour du net (et du monde ?). Images cathartiques propres à un cinéma de genre, horrifique en diable, où des jeunes filles rebondies se font étriller par des serial killers mélancoliques. Même impression sur Los Angeles qui dessine dans nos esprits des bretelles d’autoroutes perpétuelles comme dans les films de Michael Mann. Pour autant nous ne parlons pas de musique cinématographique. Seulement, le texte, aride, laisse le champ libre à l’imagination. Au voyage. Au trip. Et c’est là le deuxième aspect, et non des moindres, de ce premier disque passionnant. Son caractère apatride. Toutes les grandes capitales ont été convoquées, Paris bien sûr mais aussi L.A., Tokyo, Ljubljana. Souvent l’action se déroule la nuit (Paris s’endort, La nuit américaine, La forêt) comme si Lescop avait besoin de s’y envelopper pour exister, pour se rassurer. Réussite d’autant plus remarquable qu’il arrive à esquiver le cliché du fêtard drogué, du noctambule stromboscopé. Pour Lescop, la nuit efface les frontières, les différences ; ne dit-on pas « la nuit tous les chats sont gris » ? Dans son monde, il n’y a pas de nation, mais des étapes, des points de repère urbains où enfle la grande respiration aventureuse des résidents, non des peuples. Seule ville manquant à l’appel, bien qu’elle soit symbolisée musicalement : Manchester, cité-dortoir de l’Angleterre laborieuse, grande toile cendrée sur laquelle s’est longtemps réfléchi le spectre magnifique de Joy Division. Influence en filigrane. Tramée jusqu’à l’extrême. Du mondialisme à l’universalité, il n’y a qu’un pas. Et Lescop le franchit dans un état de quasi apesanteur. Porté par les bourdons de ses belles machineries, déployé en spirales comme les cercles concentriques sur l’eau calme. Et ce mouvement l’emmènera loin, plus loin que Paris, Ljubljana, Tokyo ou la cité des anges. Plus loin dans le temps aussi. Nous l’espérons pour lui.
http://www.deezer.com/fr/album/5972549
16-10-2012 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 172 fois | Public Ajoutez votre commentaire