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A perdre la raison, de Joachim Lafosse

Par Celine_diane

[Critique] A PERDRE LA RAISON de Joachim Lafosse
Visiblement obsédé par l’éclatement de la cellule familiale (Nue propriété) et la domination exercée sur autrui (Elève libre), Joachim Lafosse a trouvé de quoi ressasser ses leitmotivs dans l’exploration ce fait divers belge, ou comment une mère de famille comme les autres en vient à commettre l’irréparable : un quintuple infanticide. Evoluant au cœur d’une spirale chabrolienne, un trio : Murielle (formidable Emilie Dequenne) et Mounir (Tahir Rahim), de jeunes adultes qui s’aiment, se marient, font des gamins, et, André (Niels Arestrup, toujours parfait), un médecin solitaire qui finance et contrôle le couple jusqu’à l’étouffement. L’histoire est simple, la fin terrible, les enjeux immensément complexes. Il y a deux problématiques dans l’excellent et maîtrisé film de Lafosse : comment dire l’horreur ? Le fait divers ? Et, comment s’approcher, fouiller, compatir avec la jeune femme à la dérive, sans excuser son acte odieux ? Via une mise en scène anxiogène qui resserre formellement l’étau sur ses protagonistes (et sur les spectateurs), Lafosse garde la bonne distance : il observe les faits, mécaniquement, lentement, sur un air baroque qui semble conduire tout le monde vers la tragédie ; et n’appuie jamais exagérément sur l’essentiel (l’emprise qu’a le médecin sur la famille, la dépression de Murielle, le machisme du père), il se contente de coller aux situations, aux phrases insidieuses, et se concentre sur le comment, plutôt que sur le pourquoi. 
Construit comme un thriller, A perdre la raison ne relâche jamais la tension sans pour autant verser dans le suspense malsain : dès la scène d’ouverture, où la jeune Murielle demande que l’on enterre ses enfants au Maroc, on sait à quoi s’en tenir. Pour illustrer le foyer-prison, la fragilité psychologique du personnage central, le cercle vicieux de soumission dans lequel Murielle se retrouve piégée, Lafosse opte pour le pouvoir d’évocation des images : le sourire d’une amoureuse laisse place à un visage rongé par les anti dépresseurs, l’assujettissement, la désillusion; les figures protectrices (des pères du récit) deviennent mains qui étranglent. Jusqu’au pire, jusqu’à la perte identitaire totale. Murielle devient une génitrice à répétition, fantôme en djellaba qui erre dans un hall d’aéroport, sous pression, dont les émotions sont enfouies, retenues, soupape, bombe qui menace d’exploser. Les séquences les plus fortes, les plus dures, sont celles qui se déroulent en silence (les pleurs de Dequenne sur une chanson de Julien Clerc, l’une des plus scènes de cinéma de cette année), ou hors-champ (les meurtres). La preuve que Lafosse, bien loin de toute compassion inappropriée (sur le fond) et toute reconstitution sans âme et sans point de vue (sur la forme) a bien saisi tous les enjeux de son sujet. Une grande claque. 
[Critique] A PERDRE LA RAISON de Joachim Lafosse


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