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Les joies des appels d'offres publics

Publié le 15 octobre 2012 par Gaga96 @gaga96fr
"Bonjour, je dois obtenir le formulaire A38."
"Ah non, ce n'est pas ici, on vous a mal dirigé ! Adressez-vous au guichet 1, couloir de gauche, dernière porte à droite !"
"Mais il n'y a pas de porte à droite !...Bonjour Madame, je cherche le guichet 1... "
"Consultez le plan au 6ème étage !" "Bonjour, je suis bien au guichet 1, je viens chercher le formulaire A38."
"Avez-vous récupéré le formulaire bleu au guichet 7 ?"...
(Les 12 Travaux d'Astérix)
Les joies des appels d'offres publics Une fois n'est pas coutume, il ne sera question dans cet article de médiation technique que très superficiellement. J'ai envie de parler de mon expérience récente de réponse à appel d'offres, une première pour moi.

Prolégomènes

Une conseillère industrie de la CCI (merci à elle) m'a récemment informé qu'un appel d'offres concernant l'assistance à l'innovation et à la créativité pour des entreprises de ma région et d'une région voisine.
"Chouette", me suis-je dit, "une excellente opportunité de faire progresser l'innovation dans les PME".
Enfin non, ça c'est la version politiquement correcte. La vraie, c'est "Chouette, enfin une opportunité de faire connaître ma société auprès de plein d'entreprises et de développer ma clientèle". Mais ne le répétez pas.
Bref, j'ai décidé de me lancer dans cet appel d'offres. Il y a plein d'entreprises qui y arrivent, y compris des PME (1,8 milliards d'euros pour le seul secteur de la Défense hors armement, selon ce document), pourquoi pas moi ?
J'apprends qu'il faut répondre sur une plateforme internet spécifique, la PLACE (pour PLateforme des AChats de l'Etat) ; en plus, c'est gratuit. Super, j'adore le principe de dématérialiser, et si ça ne me coûte rien, tant mieux.
Je m'inscris donc sur la plateforme.

Étape 0

Je m'aperçois qu'avant même de pouvoir postuler, il va falloir signer électroniquement certains documents. C'est pas super clair, je verrai ça plus tard. Je télécharge le dossier de l'appel d'offres, et je découvre une quantité assez élevée de prose. Pfff... Je commence à douter : est-ce que je vais vraiment arriver à soumettre tous ces documents ?
Par chance, un séminaire des achats de la Défense est organisé la semaine suivante à proximité de chez moi. Je vais y aller, j'imagine que j'en saurai plus là-bas.
Effectivement, une excellente présentation du fonctionnement de la PLACE me permet de comprendre ce que je suis amené à faire dans les jours qui suivent.
Je découvre donc que je dois :
  • étape 1 : obtenir un certificat auprès d'une autorité de certification (c'est un abonnement payant),
  • étape 2 : remplir les documents en suivant scrupuleusement les indications,
  • et étape 3 : soumettre les documents sur la plateforme en signant numériquement certains documents.
Bref, une aventure digne de l'Agent Spécial OSO, découvert à la télé en même temps que mon fils il y a deux ou trois ans. Il résout tous les problèmes en trois étapes.
Les joies des appels d'offres publics

Étape 1 : obtenir et installer un certificat


Je commence donc par le certificat. La plateforme indique une liste de plus d'une dizaine d'autorités de certification (dont beaucoup de banques). C'est un business ignoré mais manifestement juteux. 
Comment choisir ? Va pour l'autorité des CCI.
Je suis la procédure en ligne, qui me dit qu'il faut se munir d'un extrait K-bis (une sorte d'acte de naissance pour une société) de moins de trois mois et d'une copie des statuts de ma société (une vingtaine de pages).
Après quelques heures administratives passionnantes (récupération d'un extrait K-Bis au tribunal d'instance pour 3,10€, photocopie des statuts de ma société...), rendez-vous à la CCI pour déposer un tas de papiers et payer 80€ d'abonnement.
Quasiment une journée de travail. Mais je me dis que l'étape 1 est quasiment achevée : il ne reste plus qu'à installer le certificat...après avoir relancé la CCI pour qu'ils m'envoient le fichier qui va bien.

L'installation de la signature se passe plutôt bien. Je teste sur le site de l'autorité : OK.
Je teste ensuite sur PLACE.
Les joies des appels d'offres publics Oups ! La plateforme m'insulte : certains pré-requis techniques ne sont pas respectés sur ma machine. Je cherche dans l'aide, mais je ne trouve pas ce qui ne va pas. 
Premier appel à la hotline PLACE : c'est ma version de Java qui n'est pas bonne. 
"Ah bon ? Il est pas frais, mon Java ? Et pourquoi la plateforme m'indique que la version est bonne ?"
"La version est bonne, mais il manque des mises à jour."
Encore une heure de lutte pour installer la bonne version de Java et à faire en sorte que mon navigateur soit au courant que j'ai changé de version, et enfin, j'arrive à avoir tous les indicateurs au vert.

Étape 2 : remplir les documents demandés

Bon, reste à remplir les documents. Courage !
Le dossier de réponse, brut et sans notice, c'est un peu du chinois pour moi. Je surfe donc sur internet pour trouver des sites parlant de la réponse à un appel d'offre.
Au passage, je découvre qu'il existe des sociétés spécialisées dans la réponse aux appels d'offres et qui font tout ça pour vous. On verra quand j'aurai fait fortune, mais en attendant, je vais tout faire moi-même.
Bref, j'apprends qu'il y a en principe :
  • un Règlement de la Consultation (désigné par le sigle RC),
  • un Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP),
  • et un Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP)
à suivre à la lettre.
Bon, commençons par la lecture. J'apprends que ce n'est pas à un appel d'offres que je réponds mais à un accord-cadre. En gros, c'est une présélection de candidats pour de futurs appels d'offres "lights". Donc, si ma société est sélectionnée, je n'ai pas fini avec les formalités. Bonne nouvelle quand même : l'accord dure trois ans.
En plus, la consultation correspond à des lots : on est candidat à un ou plusieurs lots (deux dans mon cas), mais il faut faire une soumission particulière pour chaque lot.
Apparemment, je suis sensé soumettre des documents pour ma candidature, d'une part, et pour les offres (pour chaque lot), d'autre part. Sauf que la plateforme ne semble pas permettre d'envoyer les documents communs pour les §§§. Ça a l'air hyper bien pensé, encore, ce truc.
J'apprends au passage que "les variantes sont autorisées", puis plus loin que "la présente consultation ne comprend pas d'options". Si vous y comprenez quelque chose, écrivez-moi.
Les joies des appels d'offres publics Allons-y pour le remplissage :
  • Il me faut d'abord remplir des formulaires (DC1, DC2, DC3). Ça va, pas trop compliqué. 
  • Ensuite, il faut compléter ces formulaires par d'autres documents, parfois décrits de manière très vague, comme par exemple "tout document permettant d’obtenir les coordonnées précises du candidat". Demerden Sie sich.
    Allez, je joins les statuts, l'extrait K-bis (maintenant que j'en ai un tout neuf), et quelques autres papelards, plus une prose de mon crû pour préciser toutes les informations qui doivent être fournies. J'espère qu'il ne manque rien.
  • Enfin, je dois fournir "les justificatifs relatifs aux obligations fiscales et parafiscales (articles 43 à 46 du Code des marchés publics) attestant que les candidats sont à jour, au 31 décembre dernier de leurs cotisations fiscales et sociales (liasse 3666, certificats URSSAF et congés payés)."
    Bon, en fait, il suffit de certifier sur l'honneur qu'on pourra les fournir plus tard si l'on est retenu. Bref, j'ajoute ça dans ma prose, ainsi que d'autres déclarations sur l'honneur, qui font sans doute doublon avec certains formulaires.

Étape 3 : signer et soumettre

Ça y est, j'ai tous les documents (enfin, je crois). Il ne reste plus qu'à les signer et à les soumettre sur la plateforme. Ça devrait être du gâteau.
Eh ben, non, raté. Ce n'est pas parce que la plateforme dit que votre système est au point que ça marche effectivement.  Le site mouline sans qu'il ne se passe rien.
Après quelques tests, je m'aperçois que c'est la signature électronique qui ne fonctionne pas.
Second appel à la hotline PLACE : mon fichier de certificat devrait être un ".p12", or c'est un ".cer". Voyez avec votre autorité de certification.
Appel à la hotline de mon autorité : oui, le fichier ".cer", c'est la clé publique, il faut la clé privée. C'est quelque part dans Firefox, mais vous êtes sur Linux, et je ne sais pas trop vous aider. Merci l'ami !
Bon, en fouillant dans mon navigateur, j'arrive à obtenir ce fameux fichier ".p12". L'applet Java de signature se lance, mouline, et...ne s'arrête pas de mouliner. Je sens que je progresse, mais à force ça va finir par être pénible, cette histoire.
Passons au plan B : je découvre pendant les épisodes précédents qu'il y a un logiciel téléchargeable sur la plateforme qui s'occupe de la signature en dehors du site. Installation, signature d'un fichier test, soumission sur la plateforme : échec. Ma signature n'est pas acceptée. Curieusement, le fichier de signature généré par ce logiciel n'est pas du même format que celui attendu par la plateforme (".p7s" ou quelque chose comme ça, contre ".xml").
Allez, je passe au plan C : j'abandonne provisoirement Ubuntu (mon système d'exploitation gratuit basé sur Linux) pour Windows. 
NB : J'ai bien fait de garder une partition Windows sur mon PC portable (fournie systématiquement à l'achat d'un PC par une sorte de vente forcée tolérée par l’État), car même si on peut faire 99% des choses sur Linux bien mieux que sur Windows, et que ce système soit promu par les pouvoirs publics, la plupart des gens que vous avez au bout du fil ne savent traiter que des problèmes rencontrés avec Windows.
Les joies des appels d'offres publics J'utilise la partition Windows de mon PC à peu près tous les 29 février, et là il faut que je me retape toute la configuration de Java sur ce PC (sans parler des milliers de mises à jour de sécurité de Windows à installer depuis ma dernière utilisation). Et là, MIRACLE, ça marche.

Je procède donc à la signature des fichiers. Comme le règlement n'est pas clair sur les fichiers à signer numériquement, et que certains fichiers doivent être signés sur certaines pages, je colle ma signature manuscrite scannée sur les fichiers à soumettre, je signe électroniquement TOUS les fichiers à soumettre (une vingtaine en comptant les doublons), et j'envoie le tout sur la plateforme.
Alea jacta est.
Et tout ça avec 20h d'avance sur la date limite de soumission. Pfiou !

Conclusion

Non, la dématérialisation ne simplifie pas la tâche des candidats aux appels d'offres publics.
Mais, dans le fond, le but c'est de simplifier la vie des acheteurs publics, non ? Manifestement. Mais rien n'empêche de profiter de la dématérialisation pour simplifier ou au moins rendre plus cohérent et compréhensible la démarche de soumission des candidats. Grâce à mon expérience récente, j'ai plein d'idées !

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