Arthur Rimbaud - Le rêve de Bismark

Par Pikkendorff

Fantaisie d’Arthur Rimbaud écrite en Novembre 1870 et retrouvée en Avril 2008 chez un bouquiniste à Charleville dans des archives du Progrès des Ardennes.

Rimbaud a 16 ans. Lisez à haute voix. La prosodie est magnifique. La ponctuation audacieuse rappelle Louis-Ferdinand Céline avant l’heure.

Ecoutez comment Marc-Edouard Nabe lit ce texte à partir de la 15ème minute de l’enregistrement de l’émission télévisée.

Arthur Rimbaud - LE RÊVE DE BISMARCK
(FANTAISIE)

   C'est le soir. Sous sa tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de France, médite ; de son immense pipe s'échappe un filet bleu.
   Bismarck médite. Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine ; de l'ongle, il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg : il passe outre.
   A Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg, raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées, — et s'arrête…
   Triomphant, Bismarck a couvert de son index l'Alsace et la Lorraine ! — Oh ! sous son crâne jaune, quels délires d'avare ! Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse !…

*
* *

   Bismarck médite. Tiens ! un gros point noir semble arrêter l'index frétillant. C'est Paris.
   Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le papier, de ci, de là, avec rage, — enfin, de s'arrêter… Le doigt reste là, moitié plié, immobile.
   Paris ! Paris ! — Puis, le bonhomme a tant rêvé l'œil ouvert, que, doucement, la somnolence s'empare de lui : son front se penche vers le papier ; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée à ses lèvres, s'abat sur le vilain point noir…
   Hi ! povero ! en abandonnant sa pauvre tête, son nez, le nez de M. Otto de Bismarck, s'est plongé dans le fourneau ardent… Hi ! povero ! va povero ! dans le fourneau incandescent de la pipe…, hi ! povero ! Son index était sur Paris !… Fini, le rêve glorieux !

*
* *

   Il était si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate ! — Cachez, cachez ce nez !…
  Eh bien ! mon cher, quand, pour partager la  choucroûte (sic) royale, vous rentrerez au palais [...........................] avec des cris de... dame [.......................] dans l'histoire, vous porterez [...............................................]re vos yeux  stupides.
   Voilà ! fallait pas rêvasser !

   Jean Baudry  (Pseudo de Rimbaud)