Au 15 octobre 2012, pour la Sécurité Sociale, tout va bien

Publié le 15 octobre 2012 par Copeau @Contrepoints

Ah, ce modèle social que le monde nous envie ! Cela fait des années qu'on en entend parler, régulièrement, à chaque vote d'un budget lourdement déficitaire, par exemple. Évidemment, avec la crise, le sujet est devenu d'autant plus important que l'argent gratuit des autres vient à manquer cruellement. Tellement, même, que les politiciens commencent à avoir du mal à camoufler les habituelles lézardes qui serpentent dans tout l'édifice.

Bien évidemment, je ne vais pas remettre sur le tapis le court instant de lucidité de Fillon en 2007, qui, après un repas un peu trop arrosé, découvrait l'état réel des finances de la France sans qu'on l'ait prévenu et avait avoué hériter d'un pays en faillite. Et comme je suis pudique, je ne vais donc pas mettre sur le tapis la dernière petite saillie de l'aimable potiche gouvernementale, Najat Valleau-Belkacem, qui, outre ses consternantes déclarations sur la prostitution ou l'égalité des sexes à l'école, vient elle aussi de comprendre qu'elle était sous-caporale d'une armée mexicaine de bras cassés embarqués dans un Titanic en faillite aggravée.

Cette courte lucidité ne sera, malheureusement, d'aucun secours pour les millions de Français qui sont, eux, parfaitement au courant de l'état de leur compte en banque et, par déduction, de celui (lamentable) de leur municipalité au regard de l'explosion récente de la taxe foncière. Ce fameux modèle social, qui aura été financé à grands renforts de ponctions vexatoires d'un côté et d'abysses financières historiques de l'autre, montre des signes évident d'un épuisement qu'on sait déjà terminal.

Au niveau des retraites, le dernier soupir est déjà programmé : pour celle des cadres, ce sera en 2016, et pour les autres, en 2020. Bien évidemment, les "partenaires sociaux" (ou les larrons en foire, selon le point de vue) s'entendent à bien expliquer que ce planning d'une mort annoncée ne vaut qu'avec des hypothèses qu'ils ont choisies pessimistes : la situation, pensent-ils, ne sera pas si catastrophique longtemps et, moyennant une petite renégociation, quelques franches discussions autour d'une table paritaire, citoyenne (et qui sait, festive aussi un peu) on devrait se sortir de la passe difficile dans laquelle on est enquillé jusqu'au cou. Youpi.

Encore que. Lorsqu'on prend connaissance des scénarios envisagés, on frémit. Le premier scénario table sur un taux de chômage de 9,5 % l'an prochain et inférieur à 9% pour 2015. Avec des hypothèses aussi farfelues, les résultats obtenus sont évidemment sans intérêt, sauf à considérer un retour pétaradant de la croissance pour dans deux ou trois jours et une reprise des créations d'emplois comme jamais. Si les Verts vendent de la drogue, ce sont manifestement les services de l'AGIRC-ARRCO qui la fument. Quant au second scénario (celui qui est présenté comme réaliste - ne pas rire, merci), il table sur un taux de chômage de 10% de 2013 à 2015, ce qui signifie en creux que la politique menée par les pieds nickelés socialistes n'aurait aucun effet délétère. Ce serait une première dans l'histoire de l'Humanité. On peut donc raisonnablement écarter cette hypothèse.

Encore plus croustillant : indépendamment des hypothèses de chômage retenues (avec ou sans invasion d'extra-terrestre relançant la construction immobilière par une belle vague de destructions apocalyptiques Krugman-style), et de l'aveu même des branquignoles partenaires sociaux en charge de gérer ce bordel système, aucun changement de paramètre, pris isolément, ne change vraiment la donne. Reculer l'âge légal de la retraite de 62 à 64 ans (facile : les Français sont souples à ce sujet) rapporterait moins de 5 milliards, et ne changerait que très marginalement le moment de l'épuisement des réserves.

Bref : la retraite par répartition va s'effondrer, assez vite maintenant. C'est une certitude.

Du reste, ce n'est pas comme si elle avait eu un jour l'espoir de ne pas aboutir à ce résultat lamentable. Par définition, la retraite par répartition ne fonctionne que dans le cas idyllique où la pyramide des âges offre un profil très avantageux, avec une masse d'inactifs retraités strictement inférieure à celle des actifs, et dans une proportion qui permette à ces actifs de payer tout le reste. Le moindre accroc, la moindre baisse d'activité, la moindre pétouille dans les naissances, la moindre baisse de mortalité et c'est la déroute par empilement de dettes. Dans un monde réel, l'échec est donc assuré.

Et la catastrophe qui se prépare avec les retraites s'ajoutera à celle qui se profile déjà pour l'assurance santé pour laquelle les déficits s'accumulent là encore sans que l'agitation modérée des partenaires sociaux ne résolve quoi que ce soit.

À ce sujet, il est plus qu'amusant de voir la termitière de la Sécurité Sociale s'agiter à l'idée que ses fondations puissent s'effondrer sous les coups de boutoirs de l'Union Européenne. D'après Médiapart, qui croit avoir découvert quelque chose, Bruxelles préparerait en effet l'ouverture à la concurrence du marché des assurances santé (le texte est disponible ici, pour qui veut s'encombrer l'esprit). On imagine, à la lecture de ce genre de titraille, l'effarement et la stupeur qui s'empare de tout bon syndicaliste pour lequel la Sécurité Sociale est bien plus qu'un symbole, puisqu'il s'agit, compte-tenu du budget colossal que l'institution manipule, d'un véritable Etat dans l'Etat, avec tout ce qu'on sait de pouvoir, et, par voie de conséquence, de corruption, de petits arrangements et de tractations politiques en coulisse.

Il semble dès lors évident qu'une telle nouvelle doit à la fois être connue, pour que les "force vives" de la Nation se liguent afin de combattre une telle atrocité, et, de l'autre côté, qu'on n'en fasse pas trop la publicité, dès fois que les Français, se rendant compte à quel point ils sont tondus, se décident à reprendre en main leur propre couverture et réclament -- enfin ! -- des comptes à ce nuage d'institutions directement responsable de la décrépitude française sur les 40 dernières années, au moins.

On peut en tout cas parier qu'il en sera pour cette information exactement comme il en fut précédemment pour celle ouvrant déjà la concurrence (sur le papier, tout du moins) : un passage sous silence avec une certaine componction afin de bien faire comprendre à ceux qui tentent l'aventure de cette concurrence à quel point leurs lubies sont ridicules. En réalité, les services de sécurité sociale obligatoires sont déjà visés par la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 sur les marchés publics, ainsi que par la jurisprudence de la Cour de justice européenne, qui a largement réaffirmé l'ouverture de cette concurrence, y compris pour les services obligatoires, comme dans son arrêt du 23 avril 1991 (Affaire C-41/90, Höfner et Elser). Elle a ainsi jugé (point 21) que «dans le contexte du droit de la concurrence la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement.» et (arrêt du 21.09.1999, affaire C-67/96), elle a aussi jugé «que dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (Point 77). Ni la poursuite d’une finalité à caractère social, ni l’absence de but lucratif, ni les exigences de solidarité, ni les autres règles relatives notamment aux restrictions que l’organisme gestionnaire subit dans la réalisation des investissements n’enlevaient à l’activité exercée par l’organisme gestionnaire sa nature économique. (Point 79)»

Oui, les Français ne le savent pas, mais ils pourraient déjà se débarrasser de la vieille dame incontinente et aigrie qui leur pique plus d'un tiers de leur salaire en l'échange de non-remboursements et d'un taux d'équipements en imagerie inférieur à celui de la Turquie (en revanche, les sauteries syndicales se portent bien, merci).

Mais même si la retraite par répartition est condamnée à la faillite, même si la couverture santé n'est qu'un gouffre sans fond(s) destiné à, lui aussi, terminer de la façon la plus brutale possible, même si, de la même façon, l'assurance chômage n'est plus qu'un cataplasme sur une jambe de bois qui maintient les uns dans la misère des autres, tout ceci ne changera pas.

De même que le 7 octobre 1989, la RDA fêtait joyeusement son 40ème anniversaire, et qu'un mois après, au matin du 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait, l'ensemble de la Sécurité Sociale française continuera d'aligner les rafistolages et les améliorations destinées à la prolonger de 10, 20 ou 30 ans supplémentaires jusqu'au petit matin où, pouf, tout s'effondrera d'un coup.

Le manque d'imagination couplé à un dogmatisme suicidaire de notre classe politique aura interdit absolument toute remise à plat, et permet d'ores et déjà d'aboutir à une conclusion évidente : ce pays est foutu.
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