C'était début octobre, à Rennes. Les Champs Libres et la Librairie Lefailler recevaient Olivier Adam qui est donc venu en voisin depuis St Malo. Et c'est devant une salle comble qu'il a présenté son nouveau roman : Les Lisières.
Une conférence très dense, très riche. C'est la première fois que j'assistais à une rencontre avec cet auteur. J'avoue qu'entre livres
et interview que j'ai pu lire de lui, je m'attendais à une personne plus taciturne, de moins volubile. J'ai vraiment découvert un personnage... disons... bavard... du genre que l'on arrête plus
une fois lancé !
Les lisières est le 10 roman d'Olivier Adam depuis 2000, l'histoire d'un écrivain qui quitte sa Bretagne pour rejoindre sa banlieue parisienne d'origine, afin d'y soigner sa mère. Olivier Adam devient en France l'écrivain péri-urbain.
L'intervenant : Vous êtes vous documenté sur votre sujet ?
OA : La démarche de ce livre prend appuis sur ma propre culture et répond plus à un rapport sociologique ou psychanalytique qu'au philosophique. Au début de mon ambition de travail, il y a cette envie de transformer en littérature des sujets qui ne sont pas forcément littéraires. Ici, il s'agit de ce que j'avais à dire sur l'état du pays, de la prolifération des zones périurbaines. Ce livre résulte de mon vécu, de mon intuition et d'un peu de travail sur le terrain. Un écrivain est généraliste... On picore dans la presse, le cinéma etc... Je viens de ce périurbain, aussi, j'ai l'impression de le connaître de l'intérieur.
L'intervenant :Ce livre est très daté (campagne présidentielle et autre). Pourquoi écrire ce livre maintenant et en même temps que l'action ?
OA : Mes livres se déroulent toujours dans un contexte actuel, c'est un choix. L'histoire de personnage et le témoignage d'une époque ou de faits "divers". Pour mon premier roman, j'avais reçu deux refus pour deux raisons opposés : trop de "sentiments" ou "trop d'époque". Heureusement, grâce à La Dilettante, je n'ai pas du choisir.
Ensuite, les auteurs parlent souvent de ce qu'ils connaissent. Pour beaucoup d'entre eux, l'écriture est un moyen de s'extraire d'une vie moyenne, conformiste. C'est pour cela que le plus souvent, les livres sur ce sujet sont ironiques et regardent la société française en disant "vous" et non "nous". Ils s'en extraient. Ce n'est pas ma démarche.
Il y a un véritable paradoxe : Le coeur de la population française, à savoir la classe moyenne, est de plus en plus déplacée en périphérie et non dans les centres. Elle est majoritaireet délaissée et se prend la crise en pleine poire. Pour la plupart des gens, tout ce qui résulte de la mondialisation c'est la délocalisation, la précarisassion, la compétitivité.
Comment une société peut encore fonctionner quand le bien commun est détenue par une poignée de gens au pouvoir ? Il y a aussi un retour au vote extrémiste car il faut trouver des coupables à ses difficultés et celles de ses enfants. Il est intéressant de voir comment un climat politique peut effriter la population, avec toujours plus de distances prises par rapport aux autres. A notre époque, on se soucie plus souvent de l'affectif ou du psychologique et de l'effet du social. Hors, il y a un lien entre le social et l'intime, qui se rencontrent l'un et l'autre. Par exemple, avec l'ascenseur social, il y a souvent un sentiment de dépossession des parents quand l'enfant commence à afficher des goûts plus cultivés que leurs parents qui ont pourtant tant voulu que leurs enfants aillent à l'école et fassent des études.
Paul, mon personnage, se considère comme socialement construit "dans la moyenne" de par son origine sociale. Et pourtant, il n'est comme plus légitime dans son milieu. Il y a un sentiment d'abandon des siens car il est passé dans "l'autre camp". Il y a un mépris de classe inconscient qui transparaît (les petits pavillons, les petites villes...). Ses proches le considèrent même comme complice de la presse qui appuie bien sur tout cela dans les interviews.
L'intervenant : Comment avez vous inventé le personnage de Paul (que l'on a déjà légèrement croisé dans "Les vents contraires") ? Quelles sont les ressemblances avec vous ?
OA : J'ai construit Paul dans une tradition littéraire plutôt anglais, celle du double fictif, donc en toute liberté. Oui, Paul est moi, il me ressemble physiquement, ou plutôt comme j'étais avant. Il a écrit mes bouquins etc... En France, on mélange autofiction et autobiographie. On voudrait un certificat de véracité. Hors, la mémoire est un allié sournois car on se ment à soi même, avec aussi le soucis de qui va nous lire, ce qui va en découler (reproches, crise familiale....).
Pour moi, un livre doit s'appuyer sur le vécu de l'auteur. Et pourtant, mon livre est fictionnel tout en prenant racine dans le réel.
Je ne suis pas là pour divertir les gens mais pour les faire entrer encore plus profondément dans le réel. La fiction me permet de tordre ma vie, mon itinéraire pour les faire correspondre avec un collectif, pour avoir une portée la plus universelle possible.
Je comprends le père de Paul qui considère son fils comme oisif, sans vrai métier, puisque je n'ai pas l'impression, moi non plus, d'avoir un vrai métier. Un écrivain qui remporte du succès a un rôle social mais est complètement protégé. Dans mes précédents livres, j'ai toujours invité des voix qui seraient comme un frère ou une soeur. Ici, Paul est ma voix. Malgré la fiction, c'est moi qui parle, il s'agit de mes préoccupations etc... C'est aussi pour cela que je ne voulais pas montrer que les bons côtés du personnages, et que j'ai écrit ce livre sans égards pour ceux qui le liront (famille, amis, milieu littéraire...). Il faut écrire un livre comme si l'on n'avait plus de parents afin de ne pas avoir comme quelqu'un qui vous relie par dessus l'épaule et vous impose une pudeur, qui empêche le portrait sans fard...
J'écris les livres que je dois et que je peux écrire, et non ceux que je veux écrire. Ceci, par fidélité au parcours de mes parents, grand-parents... Cela me donne un devoir de fidélité et mes origines et m'empêche de faire le malin (dandysme intellectuel, cynisme...). Comme il y a des chanteurs à voix (qui me saoulent) et des chanteurs à timbre, je ne me considère pas comme un écrivain à voixmais comme un écrivain à timbre. Bien sûr, j'aurais préféré être Sagan ou Modiano. J'aimerais l'élégance... Même si ses livres sont nuls, j'aimerais écrire les livres de Beigbeder.
L'intervenant : Est-ce que votre livre est lu dans cette France péri-urbaine ?
OA : Même si la lecture de littérature contemporaine est par statistique l'apanage de certaines classes, étant donné que le prix des loyers déplacent ces classes en périphérie, oui, mes livres ne sont pas cantonnés à une petite caste. Même si la littérature contemporaine est plus élitiste dans la réception, maos pas dans la création, attention ! Mon lectorat est assez large, je suis là pour appuyer où ça fait mal. Mon seul repère, c'est moi. Je veux comprendre le monde dans lequel je vis. L'évasion ne m'intéresse pas.
L'intervenant : A quoi rêve la France ?
OA : Mon personnage Paul a été ex-filtré de son milieu par la littérature et non par l'ascension sociale. La littérature vous met juste ailleurs. Maintenant, le CDI à temps plein, au lieu d'être le minimum devient le graal absolu, le tout dans une époque qui ne nous a jamais autant vendu et présenté de rêves personnels, d'objectif, de perfection, de bonheur de consommation. Aujourd'hui, la France rêve d'avoir un CDI à temps plein.
Suite aux questions du public : La survie de la lecture contemporaine et sa capacité à aller vers les gens passe par la lecture au collège, au lycée... Moi, jusqu'à mes 18 ans, je n'avais pas compris qu'il pouvait y avoir des auteurs vivants... Je pensais que tout était poussiéreux. Je fais pas mal d'intervention scolaire et parfois, sur les salons, des jeunes viennent me remercier car il sont tombés sur un de mes livres au bac et qu'ils ont eu une bonne note ! A leur âge, j'aurais aussi voulu que les livres m'éclairent sur le monde.
Je n'ai pas envie d'appartenir à la haute sphère littéraire, c'est d'ailleurs pour cela que je me suis vite barré de Paris pour ne pas être contaminé ! Ma démarche est minoritaire, mais on ne peut pas m'empêcher de le faire.
Concernant son changement d'éditeur (Flammarion, et non plus les Editions de l'Olivier)... On fait des livres avec des gens, pas avec des marques. J'ai eu une rencontre intellectuelle, littéraire et humaine avec Alixe, mon éditrice, que j'ai donc suivi chez Flammarion. Avec Alixe, c'est comme trouver un ami qui ne vous passe rien ! En plus, le métier d'éditrice, avec le conseil, le suivi, les conversations sur les objectifs et les cohérences de la demande littéraire, ce métier se fait rare ! Et puis, je suis hanté par le spectre des charentaises. Des fois, il faut aussi prendre l'air ailleurs.
Et pendant cette conférence, j'ai été gâtée pour poursuivre ma collection de photos : effets de mains d'auteurs !