Annette Messager, Continents Noirs au MAMCS
Annette Messager - Le Miroir aux Alouettes2010 courtesy Marian Goodman NY
Un artiste doit-il être humain ?
Telle est la question en tête de la préface du livre d’artiste (éditions Xavier Barral) qui accompagne cette exposition et édité pour l’occasion. Norman Spinrad, auteur de science fiction, choisi par Annette Messager parle de « neotoma et l’oiseau jardinier »
Pour des raisons qui ne semblent pas motivées par le besoin de se nourrir, le neotoma accumule des petits bouts de détritus pris au hasard, capsules de bouteilles, paquets de cigarettes vides, morceaux de verre brisé, fragments de journaux, il les entrepose tel un « trésor » dans son terrier. Les oiseaux jardiniers, comme le rongeur, rassemblent eux aussi des objets sur le sol des forêts. Cailloux colorés, plumes, fruits, fleurs, ne sont pas considérés, comme, par l’œil humain, comme des détritus.
L’oiseau dispose dans une esthétique pensée et consacre son temps à arranger ses acquisitions, dans quelques assemblages différents, dont chacun sera une création unique. Son œuvre achevée il entame sa parade nuptial pour attirer la femelle.
Annette Messager, femme procède ainsi, picore dans la sphère de la grande culture et de la culture populaire, même pornographique, les comtes, les comics, les dessins d’enfants, les photographies, les animaux et les oiseaux empaillés, les mots, dans l’environnement humain.
Elle déploie dans sa palette artistique, tout ce qui a attiré son œil, qui est resté dans sa mémoire, son subconscient et le restitue en un schéma délibéré, afin de produire des effets et des réflexions sur la conscience de l’observateur.
Annette Messager Désir 2009 Courtesy Marian Goodmann NY
C’est un hôte étrange, un pantin géant, blanc, gonflé par l’action d’une soufflerie, qui accueille le visiteur à l’abord du musée, ballotté, animé de mouvements convulsifs et déstructurés, il se cogne aux murs, comme emprisonné. A l’étonnement amusé de sa découverte, succède bientôt un sentiments diffus de malaise, au spectacle des combats dérisoires de cet avatar d’un héros kafkaïen. Le ton est donné.
Annette Messager Jalousie /Love 2010 Courtesy Marian Goodmann Collec. de l'artiste
Le parcours de l’exposition s’organise en plusieurs séquences, à la manière d’un récit dont la tension dramatique s’intensifie au fil de la progression du spectateur. Il s’ouvre sur
Motion-Emotion, 2011-2012, grande installation animée présentée lors de la Triennale de Paris. Elle est composée pour l’essentiel d’un ensemble de vêtements, ainsi que de déchets de plastique et de pantins suspendus, gonflés et animés par le souffle d’une batterie de ventilateurs. Ce modeste dispositif donne vie à une étrange sarabande chamarrée, joyeuse et grinçante à la fois, où il est question de sensibilité féminine désorientée, d’insoutenable légèreté de l’être ; l’inquiétude dégagée par l’œuvre est allégée par l’envoûtement de la chorégraphie et par quelques clins d’œil à la robe soulevée de Marilyn, dans
« 7 ans de réflexion » ou à la farce ubuesque de Jarry.
Depuis une dizaine d’années déjà, l’œuvre d’Annette Messager est envahie d’obsessions de plus en plus inquiétantes et de tensions existentielles qui cèdent progressivement le pas à l’humour léger et joueur avec lequel elle touchait depuis ses débuts aux réalités les plus graves. Avec l’exposition Continents noirs, cette tendance s’affirme plus encore, et l’on se trouve entraîné dans un étrange voyage, à la découverte d’un univers de science-fiction, un monde entièrement noir, où l’on découvre deux grandes installations fortement théâtralisées, ponctuées d’œuvres de format plus modeste : des mots écrits en filets, tels Chance, Désir, ou Jalousie, dont la puissance des sentiments qu’ils suggèrent résonnent dans leur texture matérielle qu'elle met en regard avec le Miroir aux Alouettes; un ensemble de dessins animés de mots, coulures et silhouettes noires évoquent un grouillement fantasmagorique ; quelques objets sculpturaux qui travestissent dans un esprit de jeu et de dérision le quotidien le plus banal, pour mieux l’épingler, l’Opération des peluches et son mètre ruban, Les 7 balais, recouverts de loups noirs, masques qui se trouvent en face de la Mariée, (Just Married) faite d'une robe en voile et d'un balai.
"Du balai" dit-elle en riant, puis elle continue, le continent noir n'est-il désigné par Freud, comme le sexe de la femme ?
Annette Messager La Petite Ballerine 2011 collection privée
La Petite Ballerine, même le tutu de son passé de danseuse est noir, c'est le pantin du ventiloque qui y git sous son masque rouge. Plus loin avec le même tutu noir, il est accroché dans le dos de sa mère noire, heureux sans son masque rouge.
Il y a aussi Mickey chevauché par une souris, (Mickey chevauche une souris) lardé par des instruments, comme si les picadors lui avaient fait un sort. On fait on ne sait pas qui chevauche l'autre.
L’œuvre éponyme, Continents noirs, nous fait pénétrer dans un monde pétrifié et carbonisé, un univers urbain d’après la catastrophe, éruption volcanique ou explosion nucléaire, dont les résidus miniaturisés flottent au dessus de nos têtes, agglutinés en des sortes d’îlots volants, lointainement inspirée de Swift dans les Voyages de Gulliver. Au sein de ce monde à l’envers, trois ampoules, en un balancement régulier, rythment l’inéluctable du temps ; elles dessinent sur les murs des ombres menaçantes, dont les contours indécis, transformant ces conglomérats volants en monstres dont les silhouettes évoquent le monde animal ou minéral, suscitent stupeur et effroi.
Annette Messager Sans légende 2012 courtesy Marian Goodman NY collec. de l'artiste
La vaste installation Sans légende nous projette à nouveau dans un monde carbonisé de vestiges miniaturisés, disposés cette fois au sol : réalisés dans un matériau noir et mat, des formes géométriques simples et énigmatiques, des fragments architecturaux, des objets ordinaires, des jouets à l’abandon viennent envahir, étouffer des fragments de globe terrestre en textile, qui peinent à se gonfler, en un mouvement de respiration entravé.
Dans une ambiance évoquant celle de Metropolis, l’ombre projetée d’une grande horloge égrène dérisoirement le temps sur cet univers figé. Mais la gravité de ce spectacle et les terreurs qu’il suggère sont mises à distance, comme exorcisées par l’humour dont l’artiste anime ces gros jouets échoués du monde de l’enfance avec l’esprit de jeu et la poésie tendre et grinçante qui lui sont familières.
L’exposition se clôt sur une image mélancolique, le mouvement d’une vague faite d’un film plastique transparent qui vient recouvrir, comme un voile léger, les résidus d’un monde disparu, évoquant la plage de Berck de sa jeunesse.
Les grandes installations conceptuelles occupent quelques salles du rez de chaussée du MAMCS jusqu’au 3 février 2013
Annette Messager Chance 2011 courtsey Marian Goodman NY collec. de l'artiste
visites commentées en français les jeudis à 12 h 30 les dimanches à 11 h
visites commentées en allemand les samedis à 11 h ( 20/10-24/11-8/12-26/1/13)
Une heure une oeuvre le 7 décembre
Chance, 2011 ou la place des mots dans l'oeuvre d'Annette Messager
Le temps d'une rencontre
Le vendredi 18 janvier 12 h 30
Parcours de l'exposition en compagnie d'Annette Messager
photos et vidéo de l'auteur courtesy MAMCS