En 2009 avait paru aux éditions Seghers L’année poétique, anthologie des meilleurs poèmes francophones parus cette année-là en recueils ou en revues, et donnant un bon aperçu général de la poésie contemporaine, avec ses qualités mais aussi ses tics et ses manques.
Cette anthologie était présentée par les trois poètes Patrice Delbourg, Pierre Maubé et Jean-Luc Maxence, également éditeur et directeur de revue.
L’année poétique 2009 mettait à l’honneur plus particulièrement la Belgique, avec cette accroche facétieuse : « Un poète français sur deux est belge. » et il est vrai que les poètes belges étaient bien représentés, avec vingt-cinq auteurs parmi lesquels Guy Goffette, Werner Lambersy, William Cliff, Yves Namur et bien d’autres.
J’ai choisi cinq poèmes dans cette anthologie :
JACQUES ANCET
La fatigue a des couleurs
comme les saisons. Elle a
ses douceurs et ses éclats,
ses silences. Mais surtout
ce qu’elle permet de voir :
d’une chose à son image,
imperceptible, une sorte
de distance sans distance.
L’incertitude du monde.
Comme un vacillement bref.
BERTRAND DEGOTT
J’ai sur ma table un bouquet de pervenches
qui commence à pâlir … on en trouvait
à profusion dans la forêt dimanche
(parfois c’est comme si rien n’entravait
le cœur, on entretient l’oubli … n’empêche
que tout s’impose avec le temps, le mur
enfin s’effondre, la fleur se dessèche
et l’amour se pourrit comme un fruit mûr)
je te confie ce bouquet de langage
emporte-le sur les chemins où tu
situes la crête et qu’afin de partage
il y résonne autant que je l’ai tu
la pâleur j’y consens, que soit diaphane
ce qui doit l’être et que le reste fane.
ALAIN SUIED
Les morts sont légers
plus légers que l’air.
C’est nous qui portons
leur poids à l’épaule.
C’est nous qui écoutons
leur vraie voix dans nos cœurs.
Les morts sont légers
plus légers que le sommeil.
Ils nous parlent en secret
dans la langue pure des galaxies.
Ils nous tirent vers le haut
tandis que l’oubli et la faiblesse
nous ramènent vers la terre.
Les morts sont légers
plus légers que le souvenir.
Ils nous parlent en secret
dans la langue oubliée des enfants.
Ils nous tirent vers l’azur
tandis que le silence du néant
nous ramène vers la vérité.
BÉATRICE LIBERT
PESER
Ce soir nous dînerons de restes Nous vivrons à l’étroit nous penserons peu dépenserons moins encore n’ayant sou qui vaille en poche forcément cousue Nous pèserons quelques noms très communs au coin de deux minutes éclair Économisant les gestes il nous viendra peut-être un désir généreux mais nous l’avalerons bien vite Les vitres dessineront de faibles embellies embrochées par la nuit fatalement rapide Et nous consumerons nos cris à la muette afin que rien de fort ou de miraculeux ne nous arrive par un furieux hasard.
JEAN-CLAUDE PIROTTE
On décline la solitude
comme un enfant les mots latins
dans la froide salle d’étude
du collège pour orphelins
les mots d’amour sont dans les livres
que le maître interdit de lire
on peut feuilleter la grammaire
on n’aura plus jamais de mère
au fond du dortoir la veilleuse
n’en finit pas de s’éteindre
et les murmures de la nuit
laissent du givre aux fenêtres
les mots de grammaire et de mère
se confondent avec les rêves
comme les rimes du poème
que l’enfant n’écrira jamais
*****