L’histoire des monnaies modernes constitue une illustration symbolique de l’illusion étatique qui consiste à affirmer la prétention régulatrice des hommes d’État dans le domaine économique, et notamment monétaire.
Par Jean-Louis Caccomo
L’histoire des monnaies modernes pourrait constituer une illustration des plus symboliques de l’illusion étatique qui consiste à affirmer la prétention régulatrice des hommes d’État dans le domaine économique, et notamment monétaire. Certes, l’illusion est toute relative dans le sens où, si le pouvoir de créer de la richesse par la manipulation monétaire est bien illusoire, la capacité de destruction de la richesse par ce même procédé est hélas bien réelle. Illustrons notre propos avec un retour historique sur le franc.C’est en 1360 que le premier franc est mis en circulation au royaume de France. C’était une époque où le monopole monétaire royal n’est pas vraiment établi car différentes monnaies locales et régionales circulaient à l’intérieur même du royaume. Un second franc est né sous le gouvernement de Bonaparte, par la loi du 27 mars 1803 : c’est le franc germinal. Cette nouvelle monnaie met fin au désordre monétaire provoqué par la révolution française et la mise en circulation des assignats. Remarquons au passage que l’assignat fut un moyen expéditif utilisé par les révolutionnaires jacobins pour s’approprier les biens de l’église et de la noblesse au nom de la « libération du peuple ». L’instrument monétaire comme instrument politique de la spoliation était né (ou plutôt redécouvert car les empereurs romains en avaient aussi abusés).
Alors que les hommes libres avaient spontanément inventé la monnaie pour faciliter les échanges - de la même manière qu’ils avaient découvert la roue pour faciliter le transport -, les hommes d’État font de la monnaie un instrument de pouvoir, de contrôle social et, finalement, de spoliation.
Après la première guerre mondiale, on ne parviendra pas à rétablir le franc germinal qui avait été marqué par une remarquable stabilité pendant près d’un siècle sous le règne de l’étalon-or. Pourtant, le gouvernement français promet à la masse des petits épargnants, ruinés par l’effondrement de la monnaie nationale et les efforts de guerre financés par la création monétaire, que « l’Allemagne paiera les réparations ». Les illusions officielles sont toujours ruineuses, notamment pour ceux qui y croient !
La dévaluation de Poincaré en 1928 supprime tout espoir de retour à une définition basée sur l’or du franc : c’est aussi la naissance du troisième franc, qui fut renouvelé par Pinay en 1958. C’est ce franc là qui a disparu avec l’Euro. Faut-il s’en émouvoir ? On ne peut pleurer la disparition d’une monnaie qui ne faisait que s’affaiblir mais, pour autant, on ne peut se réjouir de la création d’une monnaie européenne fondée sur les mêmes principes que ceux qui ont présidé à la destinée malheureuse du franc. Car cette brève histoire du franc illustre parfaitement la question de la définition des monnaies-papier qui sont un instrument du pouvoir politique : avec la dévaluation de 1928, le franc devient une monnaie-papier sans réelle définition.
Dans le domaine monétaire, l’État substitue sa loi fondée sur la force et la coercition à la loi de l’économie fondée sur les choix libres des individus. Par ce processus, l’État laisse croire qu’il a le pouvoir de créer de la valeur puisqu’il s’approprie le monopole de la production des instruments monétaires. Cependant, en étatisant et en monopolisant la monnaie, le gouvernement se donne le moyen de spolier à volonté les individus, en manipulant les valeurs nominales pour le plus grand malheur de l’économie. L’inflation, qui est toujours et partout un problème monétaire, pour reprendre l’expression de Milton Friedman (plus précisément un problème de politique monétaire), est un impôt déguisé. Et les gouvernements ont toujours recours à des impôts déguisés ou « indolores » (T.V.A.), qui sont les plus sournois, lorsqu’ils ne maîtrisent plus les finances publiques (ce qui est le prélude à une faillite plus générale mais c’est une autre histoire…).
Dans son expression moderne, la monnaie n’est plus accrochée à un étalon extérieur à elle-même (une vraie définition comme l’or par exemple) et le monopole d’émission à l’intérieur d’un pays interdit l’expression d’un marché des monnaies qui permettrait d’obtenir les vraies valeurs des monnaies en circulation. Le résultat est édifiant pour la France, pays des manipulations en tout genre (des salaires, des prix agricoles, des taux de change, des tarifs médicaux, des taux d'intérêt...). Ainsi, depuis 1928, la valeur du franc fut divisée par plus de 200 ! Autant dire que l’histoire du franc, que nous avons enterré avec l’euro, illustre à bien des égards les égarements et les erreurs des politiques monétaires fondées sur l’illusion monétaire, celle que les politiques entretiennent en affirmant qu’ils auraient le pouvoir de créer de la valeur.
En imprimant des billets, on croit réellement créer de la richesse ! La comparaison avec le franc suisse est encore plus édifiante : le franc suisse a été originellement établi en 1850 à la parité avec le franc français. Au 1er janvier 1999, lorsque le franc français disparut pour laisser la place à l’euro, le franc suisse valait 425 francs français, ce que l’on traduisait pudiquement par 4,25 nouveaux francs (une division par cent de toutes les valeurs nominales procédée par le gouvernement du Général de Gaulle en 1958 pour épurée des décennies d’inflation galopante).
Ainsi, entre 1914 et 1999, la valeur du franc suisse par rapport au franc français a donc été multipliée par 425 !
On ne peut pas comprendre nos relations difficiles avec l’Allemagne, notamment sur la question monétaire, si on n’a pas en tête cette histoire. L’Allemagne a été traumatisée par l’hyperinflation qui a emporté la république de Weimar en ouvrant un boulevard à Hitler. Mais le mal était contenu dans le traité de Versailles, qui imposa des réparations humiliantes et irréalistes au peuple allemand, malgré les avertissements du gouvernement américain. Après la seconde guerre mondiale, fort de cette expérience tragique, les dirigeants allemands ne vont plus tolérer une dose infime d’inflation tandis que le gouvernement français va sans cesse jouer sur les dévaluations et la création monétaire.
Avec l’euro, le problème de la vraie définition d’une monnaie n’est pas supprimé car l’euro est une monnaie-papier dont la définition dépend encore d’une banque centrale, dont le gouverneur croit qu’il suffirait de manipuler (en l’occurrence de baisser) le taux d’intérêt pour relancer la croissance économique en Europe. Avec l’euro, le problème de la définition de la monnaie moderne a été déplacé à un autre niveau : il change de dimension, étant transféré au niveau européen.
Mais ce n’est pas parce que nous sommes encore plus nombreux à utiliser une monnaie-papier que celle-ci a plus de valeur : les concepteurs du Titanic affirmaient que leur navire était insubmersible parce qu’il était gigantesque (mais l’accident ne fut que plus catastrophique) ! Finalement, les problèmes économiques et sociaux deviennent insolubles quand les gouvernements cherchent à manipuler les prix (que ce soient des taux de salaires, des taux de change, des taux d’intérêt...) lesquels ne sont que la traduction nominale de phénomènes réels, conjoncturels ou structurels.
Et ce n’est pas la manipulation des grandeurs nominales qui influence les phénomènes réels dont ils ne sont que l’expression et la mesure de la même manière que l’on ne change pas la température réelle en trafiquant le thermomètre.
Vous pouvez mesurer les distances avec un mètre ou un centimètre mais ce n’est pas en modifiant l’étalon que vous changerez la dimension réelle de votre appartement.
À l’heure où l’on s’inquiète des performances de notre système d’enseignement, on pourrait établir un parallèle éclairant entre un diplôme, qui sanctionne normalement une compétence réellement acquise, et un billet de banque qui doit être la contrepartie d’une richesse créée.
Ce n’est pas en délivrant du jour au lendemain un brevet de pilote à un individu que vous le rendez capable de faire décoller un avion. Si vous délivrez quand même le brevet alors qu’il n’a acquis aucune compétence réelle, je ne monterai pas dans son avion et son brevet n’aura pas grande valeur, aussi officiel soit-il.
De ce point de vue, ce n’est pas le caractère officiel ou pas qui fait la valeur d’un diplôme ; et ce n’est pas la valeur d’un diplôme qui donne sa valeur à son titulaire mais bien le contraire.
Tout étatique et officiel qu’il était, le rouble n’avait aucune valeur car il constituait la monnaie officielle d’un État officieusement ruiné… et les russes préféraient utiliser le dollar sur les marchés parallèles. Les diplômes français sont des diplômes d’État dont on est bien incapable de mesurer la valeur réelle sauf à constater qu’il faut aujourd’hui détenir toujours plus de diplômes pour occuper des postes qui ne nécessitaient que le bac il y a quelques années en arrière. Si cela ne s’appelle pas de l’inflation…
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