« Paris, fin des années ’50. Antoine, jeune provincial d’Auxerre, monte à la capitale pour la première fois. Et il a une idée bien en tête, Antoine : retrouver Robert Mondcamp, l’homme qui a précipité le suicide de son père. Pour se rapprocher le plus du vieux roublard, le jeune homme intègre les rangs de la pègre et se laisse aller à participer à quelques arnaques lucratives. L’argent facile et la bienveillance de Mondcamp à son égard endorment quelque peu sa volonté de vengeance. Antoine doit lutter pour ne pas succomber à Pigalle et à ses lumières de nuit… »
Le roman et le film noirs sont des références communes. Le dessin d’illustration et de bande-dessinée est leur métier. Jean-Claude Götting et Jacques de Loustal étaient faits pour s’entendre ; la preuve par Pigalle 62.27, première collaboration de ces deux grands noms de la bande dessinée.
Au scénar était Götting ; une fois n’est pas coutume. Au dessin, était Loustal ; comme le veut la coutume. Götting signe souvent les scénarios de ses propres albums dessinés, jamais ceux des autres. Jacques de Loustal n’écrit jamais même s’il entretient une relation passionnée avec la littérature ; en particulier celle de ses scénaristes ; en particulier Paringaux qui a signé la plupart de ses scénarios ; en particulier Le Sang des Voyous, la référence que le dessinateur a gardée en tête au moment d’élaborer Pigalle 62.27.
Pour lui, les deux albums sont en lien étroit. Aussi, a-t-il décidé d’exposer des planches du Sang des Voyous à côté de celles de Pigalle à la Galerie Champaka. Pour rester dans le thème du polar, l’exposition, qui s’y tient jusqu’au 21 octobre, propose également quelques planches de la série Maigret, écrite par Simenon et illustrée par Loustal durant six albums. Ces derniers dessins valent vraiment le coup d’œil, parce qu’ils attestent d’une maîtrise du noir et blanc impressionnante, dignes des dessins de Götting. Un écart, donc, dans l’œuvre de Loustal, qui est avant tout un homme de couleurs, comme en témoignent la majorité des planches et toiles présentées chez Champaka.
La couleur est très importante dans le travail de Loustal car « la couleur, c’est le traitement de la lumière et la lumière c’est l’ambiance. » Et dieu sait que ses dessins marchent à l’ambiance. La couleur s’est donc imposée rapidement pour cette histoire écrite par Götting, même si le dessinateur reconnaît que la tentation du noir et blanc l’a quelque peu titillé : « C’est vrai que la référence de ce genre de récit, c’est le cinéma français d’après-guerre, en noir et blanc et que Götting l’aurait dessiné en noir et blanc, mais je ne voulais pas m’interdire la couleur sous ce prétexte. Cela aurait vraiment trop fait exercice de style. » Une solution intermédiaire l’a bien effleuré : « faire du noir et blanc, sauf quand Antoine saigne du nez, ce qui lui arrive dès qu’il stresse. » Mais à nouveau, la couleur s’est vite imposée d’elle-même : « Quand j’ai commencé à dessiner, j’ai tout de suite naturellement pris des teintes sépia. Puis, quand je me suis attaqué aux scènes de Pigalle la nuit, il m’a fallu de la couleur, beaucoup de couleurs. Sans ça, ça n’aurait pas été Pigalle. »
De la couleur, donc. Vive. Très vive, s’il vous plaît. Comme sur ses toiles peintes ou ses bandes-dessinées, Loustal n’hésite pas à convoquer les teintes les plus osées pour créer cette atmosphère si particulière à son travail. Comme dans Le Sang des Voyous, il étale sur ses planches des encres, ou carrément des tubes, d’aquarelles. La différence, c’est qu’ici Loustal a travaillé sur un encrage par aplats noirs d’abord, exécuté à la table lumineuse directement sur le papier, qui est ensuite mis en couleurs. Car, ce que Loustal aime par-dessus tout, c’est changer de technique à chaque nouveau livre, ne pas savoir à quoi va ressembler le nouvel opus.
Cette recherche permanente, on la retrouve aussi dans le traitement des textes qu’il reçoit. On se souviendra du découpage très radical du scénario de Paringaux sur Un garçon romantique. De l’aveu du dessinateur, c’était « très expérimental et intéressant à tenter mais le public n’a pas suivi ». Pour autant, on ne peut pas dire que Loustal soit revenu à une narration très classique, ce qu’il fuit avec attention. « Je refuse tous les scénarios de bande-dessinée avec un découpage trop précis. Souvent, je reçois un synopsis, j’en fais une adaptation en story-board et l’auteur écrit ensuite son texte en fonction des cases. », explique-t-il. Ici, pourtant, ce fût un peu différent : « Götting m’avait dit il y a quelques années, alors que je cherchais justement un nouveau scénario, qu’il aurait peut-être quelque chose pour moi. Il m’a envoyé un texte déjà très complet, avec mêmes quelques précisions de mise en scène. J’ai donc découpé le texte dans sa forme presque définitive et je lui ai montré. Il a juste apporté quelques modifications minimes pour que le tout tienne ensemble. Puis, il m’a laissé continuer. »
En ressort une œuvre hybride, à cheval sur la bande-dessinée et l’illustration, tant le texte reste présent, tapisse en bandes nombre de cases et ancre un peu plus la création dans l’univers du polar. L’histoire est simple, charmante, surprenante et violente. Coup de cœur pour les combines de Mondcamp, plus ingénieuses les unes que les autres, et pour les ambiances de Pigalle la nuit. Les amateurs de Bob le Flambeur, Du Rififi chez les hommes, L’Ultime Razzia, Touchez pas au Grisbi ou encore Rafle sur la ville, y retrouveront peut-être les influences de Loustal puisque ce sont là quelques films qui ont accompagné la création de Pigalle 62.27, en plus d’une vaste documentation que Loustal revendique en rappelant que « mon dessin n’est peut-être pas réaliste, mais il est précis ».
Si vous désirez vous replonger dans l’ambiance, vous savez ce qu’il vous reste à faire…
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