Les bases biologiques du développement de l’addiction – Pier Paolo Piazza – #afirne

Publié le 14 octobre 2012 par Allo C'Est Fini

Très honoré de participer à ce colloque, devant une assemblée de scientifiques français et israéliens.

La question fondamentale de l’addiction, c’est: quels sont les mécanismes qui régulent le passage d’une prise normale de drogue à un état addictif?

La prise de substance chimique ayant des effets sur le cerveau est un comportement normal, qui remonte très loin dans l’histoire de l’humanité: la prise d’alcool, par exemple. Mais ce comportement normalement tout petit va soudain se développer chez certains sujets, pour prendre le contrôle de l’individu. On passe d’une prise normale à une prise addictive.

Il y a deux phases:

  1. La première, c’est l’abus de drogue. Le sujet commence à avoir des problèmes liés à la drogue: légaux, mise en danger, mais la prise continue malgré les effets de la prise de drogue sur sa vie normale. A ce stade, ce n’est pas la vraie toxicomanie: le comportement reste organisé.
  2. La deuxième, c’est la prise de contrôle par la consommation. La vie du sujet devient dévastée par ce comportement. La prise de drogue devient le but principal du sujet.

Il y a deux grandes théories:

  1. L’addiction est le résultat d’une prise chronique (centrée sur la drogue)
  2. L’addiction touche des individus plus vulnérables (centrée sur l’individu)

Presque toutes les espèces animales ont ce comportement de prises de substances chimiques qui modifient le comportement, de la mouche au singe. Pourquoi? parce que la drogue agit sur les systèmes de récompense et l’attribution du plaisir. Cela concerne toutes les espèces animales. C’est un système très archaïque, qu’on retrouve tout au long de l’évolution.

Pour la première théorie, le passage de l’état normal à l’état toxicomane provient de la quantité de drogue consommée. Différents effets dépendent de la prise chronique de drogue: tolérance, sevrage, etc.

Pour la seconde théorie, ce sont les caractéristiques biologiques du sujet qui le rendent vulnérable. La toxicomanie serait alors une réponse pathologique à la drogue. C’est très courant en psychiatrie: les principales causes de la dépression, par exemple, seraient les divorces ou les déménagements.

Laquelle de ces deux approches est-elle la bonne? Si c’est la première, la classification de l’addiction serait d’une pathologie iatrogène. La recherche devrait alors se concentre sur les effets de la prise de drogue. l’impact sur les politiques est simple: il suffit pour se débarrasser des drogues pour se débarrasser des toxicomanies. Exemple en France où on dépense 1.5 milliard d’euros sur la lutte contre les toxicomanies, dont seulement 16 millions pour la recherche.

Si c’est la seconde, la classification est celle d’une pathologie du comportement, donc une maladie. La recherche devrait alors s’orienter vers la découverte des sujets vulnérables, et la politique plutôt sur des aspects sociaux et non sur des politiques de répréhension.

Il y a une nouvelle approche, celle de Piazza et Deroche, une sorte de théorie unifiée de la toxicomanie: il n’y aurait pas une vulnérabilité, mais deux, une par étage. Les mécanismes biologiques seraient indépendants, deux phénotypes, selon les étages.

  1. La première, c’est la vulnérabilité à l’abus de drogue: plus grande sensibilité au stress, à l’anxiété, la recherche de sensations, etc. L’impact chez ces sujets est plus important, quelle que soit la dose utilisée. Ces sujets vont vouloir et aimer la drogue plus que le sujet moyen. On a alors plus de chance de mettre en place un développement soutenu de prise de drogue.
  2. La seconde, c’est la vulnérabilité à la véritable addiction.

Comment ont-ils découvert l’addiction chez l’animal? En prenant les mêmes critères diagnostics chez l’homme: incapacité à limiter la prise, l’énergie énorme qu’on peut produire pour se procurer de la drogue, et que le sujet continue malgré les conséquences néfastes (tous les sujets toxicomanes sont conscients de leur dégradation, mais il ne peut pas arrêter).

Le comportement addictif chez l’animal, au début, n’existe pas. Mais au bout d’un mois, chez certains sujets animaux, on voit le comportement addictif se développer. Le pourcentage d’animaux qui deviennent addicts est similaire à celui chez l’homme. En effet, il faut savoir que les pourcentages d’individus qui développent une toxicomanie addictive restent stables: la drogue la plus addictive, c’est la nicotine (35% des usagers), puis l’héroïne, l’alcool et la cocaïne (15 et 20%), le cannabis (9%). Mieux, la quantité de drogue admissible reste stable, puis se développe chez les individus addictifs.

Les bases biologiques du premier phénotype  sont liées aux hormones glucocorticoïdes, qui nous donnent de l’énergie pour faire les choses qu’on fait normalement. Elles servent à compenser les effets négatifs du stress. Ce sont des hormones au début plutôt cool, mais qu ioeuvent devenir pathogènes si on se les administre en haute dose. Ces hormones agissent sur les neurones GABA, sur la libération de dopamine au niveau des récepteurs. Quand la drogue arrive, on trouve ça génial: la sensibilisation de ce système pousse à se procurer de plus en plus de drogue. En résumé, aimer le drogue, c’est lié à une hyperactivité de ces neurones dans le cerveau.

Les bases biologiques du second phénotype ont été plus difficiles à déterminer et a requis un travail électro physiologique  sur la plasticité synaptique: c’est la capacité de certains réseaux neurones à développer ou diminuer certaines connexions. Ex: on rentre au supermarché pour acheter des fraises: si on trouve que les fraises sont à 100000 euros le kilo, on se met à inhiber la zone activée sur l’envie de fraises, pour se concentrer, par exemple sur les pêches. Si on n’est pas capable de faire cette transition, on est coincé (et on achètes les fraises très chères…). C’est à peu près la même chose qu ise passe chez l’individu addict. Après une période assez prolongée de prise, les sujets qui ne développent pas la toxicomanie ont une plasticité normale, alors que les toxicomanes ont perdu leur plasticité. Attention, tout le monde perd de la capacité synaptique durant la prise de drogue, mais la majorité a la capacité à s’opposer à la toxicomanie. On parle de « métaplasticité« . La toxicomanie, finalement, c’est l’incapacité à s’adapter aux effets néfastes de la drogue. La perte de la plasticité, c’est le moment où on sent que « ça dérape ». Les toxicomanes restent dans la perte de plasticité, les autres reviennent à un état normal en se limitant. C’est un exemple de résilience biologique active.

Ce qui est intéressant ici, c’est qu’on passe de modifications quantitatives à des modifications qualitatives,selon l’étage de la maladie.

La principale conclusion, c’est que les nouvelles thérapies de l’addiction proviendront de la recherche sur des sujets normaux, exposés à la drogue mais qui ont réussi à s’en sortir, c’est à dire à s’adapter. Et non par la recherche sur les sujets toxicomanes.